Vive l'art dégénéré!

 

S’opposant à l’idéologie nazie, dont les dirigeants au pouvoir en Allemagne ont organisé l’exposition Entartete Kunst (Art dégénéré) à Münich en 1937, deux dizaines de personnes signent un manifeste « Vive l’art dégénéré » rédigé par l'écrivain Georges Henein.


Vive l’art dégénéré

On sait avec quelle hostilité la société actuelle regarde toute création littéraire ou artistique menaçant plus ou moins directement les disciplines intellectuelles et les valeurs morales du maintien desquelles dépendent pour une large part sa propre durée, - sa survie.

Cette hostilité se manifeste aujourd'hui dans les pays totalitaires -dans l'Allemagne hitlérienne en particulier par la plus abjecte agression contre un art que des brutes galonnées promues au rang d'arbitres omniscients, qualifient de « dégénéré ».

Depuis Cézanne jusqu'à Picasso (et sur le plan littéraire depuis Henri Heine jusqu'à Thomas Mann) tout ce que le génie artistique contemporain a donné de meilleur, tout ce que l'artiste moderne a créé de plus libre et de plus humainement valable est insulté, piétiné, proscrit.

Nous tenons pour absurdes et justiciables du plus parfait mépris les préjugés religieux, racistes et nationalistes à la tyrannie desquels certains individus ivres de leur toute puissance provisoire prétendent asservir le destin de l'oeuvre d'art.

Nous refusons de voir dans ces mythes régressifs autre chose que de véritables camps de concentration de la pensée.

L'art – en tant qu'échange spirituel et affectif permanent auquel participe l'entière humanité, ne peut plus connaître d'aussi arbitraires limites.

Dans Vienne livrée aux barbares, on lacère les toiles de Renoir, on brûle les ouvrages de Freud sur les places publiques. Les plus brillantes réussites des grands artistes allemands tels que Max Ernst, Paul Klee, Kokosschka, George Grosz, Karl Hofer sont mises à l'index et doivent céder la place à la platitude et à l'ineptie de l'art national-socialiste.

A Rome une commission dite de « bonification littéraire » vient d'achever sa malpropre besogne en concluant à la nécessité de retirer de la circulation « tout ce qui est anti-italien, anti-raciste, immoral et dépressif. »

Intellectuels, écrivains, artistes ! Relevons ensemble le défi. Cet art dégénéré, nous en sommes absolument solidaires. En lui résident toutes les chances de l'avenir. Travaillons à sa victoire sur le nouveau Moyen-Age qui se lève en plein cœur de l'Occident.


Ont signé 23 écrivains et artistes dont Albert Cossery, Georges Henein, Angelo de Riz, Telmisany...


Le Caire, le 22 décembre 1938


Inji Efflatoun. Sans titre, 1942 (


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