Albert Cossery
Les enfants aiment beaucoup Ahmed Safa. Il les charme par des récits fantastiques. Comme eux, il vit en enfant. Il n'a pas les soucis des adultes ; ces soucis, lourds et puants. Le hachâche n'a pas honte de sa misère. Il n'a pas cette dignité idiote qu'ont les autres, lorsqu'il s'agit de mendier. Car le plus horrible ce n'est pas d'être pauvre, c'est d'avoir honte de l'être. Heureusement, les enfants ont une conscience pure, non encore pétrifiée par l'usage de la morale. Leur seule noblesse est dans la hardiesse de leur vie. Ahmed Safa les rassemble parfois chez lui, pour discuter certains coups qui demandent beaucoup d'initiative et d'audace.
Le plus clair de leur temps, les enfants le passent hors de la maison. Dans la venelle et les environs, ils organisent les jeux, les rapines et les bagarres. Leur journée est bien remplie. Quand le soir tombe, ils rentrent chez eux, exténués, pour subir la vigueur des imprécations maternelles. Puis ils dorment tranquilles, ayant payé leur lourd tribut à la vie. Ils ne se plaignent jamais. L'homme, lui, se plaint parce qu'il a compris qu'il est un esclave.
La Maison de la mort certaine (XI)
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