Hamid se fie à son nez

 


Hamid faisait le tour de la fontaine aux ablutions avec son balai. La mosquée n’avait jamais été aussi propre que depuis qu’il travaillait ici.

Hamid démarrait sa routine. Il était devenu, avec le temps, un fin psychologue de la chaussure. Il reconnaissait les habitués sans même avoir besoin de voir leurs visages. Et il était désormais capable d’identifier les principaux traits de la personnalité d’un fidèle en étant simplement attentif aux caractéristiques de leurs chaussures. L’odeur, évidemment, en disait long sur le niveau d’importance que chacun accordait à son hygiène corporelle, mais pas seulement. Une grosse quantité de transpiration pouvait également indiquer la ferveur d’un fidèle, prêt à parcourir toute la ville pour venir se recueillir ici. Hamid arrivait même, en fonction de l’odeur de la transpiration et de son effet sur le cuir d’une chaussure, à deviner dans quel quartier vivait son propriétaire. L’odeur du cirage était aussi une indication importante dans ces cas-là, car les cireurs de chaussures, éparpillés aux quatre coins de la ville du Caire, n’utilisaient pas forcément le même. Il parvenait aussi parfois à identifier ce que la personne avait mangé la veille au soir. Plus l’odeur était forte et âcre, plus il y avait de chance pour qu’elle ait mangé de la viande au dîner. Il en déduisait par conséquent un certain rang dans la société cairote, qu’il confirmait ensuite en estimant le prix des chaussures, mais il ne fallait pas s’en tenir qu’à cela, car certains rusaient. Des personnalités de haut rang venaient prier en toute discrétion, et pour cela, elles se chaussaient d’attributs bas de gamme. Mais Hamid n’était pas naïf, et l’odeur les trahissait systématiquement. La façon dont étaient traitées les chaussures par leurs propriétaires représentait également une source infinie d’informations. Les maniaques, les nerveux et les narcissiques ne pouvaient s’empêcher de cirer leurs chaussures plus que de raison, à l’inverse des paresseux et des dépressifs. Ils y avaient aussi ceux qui ne portaient qu’une seule paire de chaussures et les usaient jusqu’à trouer la semelle. Les jusqu’au-boutistes, les pauvres et les radins. Hamid ne levait même plus la tête. Lorsqu’il voyait des pieds revenir du sahn, leur démarche, leur allure et leur forme lui suffisaient amplement pour se retourner vers les étagères, et retrouver en un instant les chaussures qui leur appartenaient. Sa rapidité d’exécution, grâce à cette connaissance pointue du pied, lui valait de nombreux bakchichs, bien plus généreux que ceux que recevaient les autres gardiens des mosquées de la ville. Mais on ne lui en voulait pas. Il le méritait bien.


Chabrol, Maximin. Etranges nouvelles d'Egypte


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