Portant
chacune sur un aspect particulier de la vie sociale, économique ou
politique en Egypte, ces cinquante-huit conversations avec des
chauffeurs de taxi du Caire composent un tableau fascinant de ce pays
à un moment clé (avril 2005-mars 2006) du règne du président
Hosni Moubarak — qui sollicitait alors un cinquième mandat. Tout y
est, en effet : les difficultés quotidiennes de la grande majorité
de la population, la corruption qui sévit à tous les échelons de
l'administration, l'omniprésence et la brutalité des services de
sécurité, le blocage du système politique, les humiliations sans
fin que la population subit en silence, les ravages du capitalisme
sauvage...
Consignés
en dialecte égyptien avec un humour décapant et un admirable sens
de la mise en scène, ces échanges librement reconstitués par
l'auteur, sinon entièrement inventés par lui, relèvent à la fois
de la création littéraire et de l'enquête de terrain. S'ils font
connaître les griefs des "gens d'en bas", ils laissent
aussi entrevoir les raisons pour lesquelles le pouvoir en place tient
bon mal-gré sa décrépitude et son impopularité.
C'est
sans doute cette combinaison inédite de lucidité politique, de
tendresse pour les plus faibles et d'humour qui explique la diffusion
de Taxi, dans sa version originale, à plus de cent mille
exemplaires.
En voici un extrait :Mon
Dieu ! Quel âge pouvait avoir ce chauffeur de taxi ? Et quel âge
pouvait avoir sa voiture ? Je n’en croyais pas mes yeux quand je me
suis assis à côté de lui. Il y avait autant de rides sur son
visage que d’étoiles dans le ciel. Chacune poussait l’autre
tendrement, créant un visage typiquement égyptien qui paraissait
sculpté par Mahmoud Mokhtar. Quant à ses mains, qui tenaient le
volant, elles s’étiraient et se rétractaient, irriguées par des
artères saillantes comme le Nil allant abreuver la terre desséchée.
Le léger tremblement de ses mains ne faisait basculer la voiture ni
à gauche ni à droite. Elle marchait droit en avant, et les yeux du
chauffeur, recouverts de deux énormes paupières, laissaient
transparaître un état de paix intérieure qui suscitait en moi et
dans le monde entier une profonde quiétude.
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