Abyssinia
— Allons, il n’y a ni deuil ni adieux. Pensons au retour, pour Dieu, pour le tsar et pour la patrie.
Un hourra accueillit sa tirade. La nature aventureuse du cosaque ne tarderait pas à reprendre l’avantage sur la tristesse de la séparation, et à bord, l’ambiance respirait l’excitation du voyage ; un long voyage vers l’inconnu. De toutes les femmes sur le quai, une seule prit place dans le train. Il s’agissait de madame Vlassova, épouse de Piotr Mikhaïlovitch Vlassov, envoyé extraordinaire auprès de Ménélik, négus-negest d’Éthiopie. Les adieux ne durèrent pas. Un sifflet retentit bientôt, puis la locomotive s’ébranla et les wagons avec elle, traversant la gare devant une foule amassée qui, chapeaux ôtés, salua le convoi en criant « Bon voyage ». La gare Nikolaïevski disparut, puis les casernements cosaques qui voisinaient le chemin de fer et enfin Saint-Pétersbourg. La grande ville s’éloignait, mais les yeux ne se tournèrent pas vers elle. Personne n’imaginait ne plus la revoir et tous regardaient vers Odessa, les soldats surtout, pressés d’arriver pour abandonner le molleton des trains russes, trop confortable au militaire inhabitué. De Saint-Pétersbourg à Odessa — le grand port du sud ukrainien — il y avait 1 700 kilomètres à parcourir en chemin de fer. La morne campagne alentour, flétrie par l’automne, alternant forêts effeuillées, marécages bourbeux et plaines grises au brouillard suspendu n’incitait guère à l’admiration du paysage, et la petite expédition commença naturellement à faire connaissance.
Alexandre Page (Abyssinia, chap. 1)
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