Confession

 

Yeneta rentrait à la maison vers dix heures, sauf le dimanche et les jours de funérailles. Sur le chemin du retour, nombre de croyants s'inclinaient devant lui pour bien montrer qu'ils étaient d'humble extraction. Le prêtre les bénissait et les autorisait à baiser le crucifix qu'il tenait fièrement dans sa main droite. Comme tant d'autres prêtres avant lui, il portait dans l'autre main une chira -de longues lanières de crin de cheval liées et montées sur un manche en bois orné-, qu'il agitait périodiquement sur ses épaules pour dissuader les mouches de profaner son immaculée et auguste personne.

(…) A voix basse, Yeneta marmonna quelques platitudes divines avant de faire savoir que les confessions allaient commencer. Un homme d'allure respectable stationné près de la porte fut le premier à se délester du poids de ses fautes. Hésitant, il se racla la gorge et se pencha vers Yeneta dans le vain espoir de préserver un semblant de vie privée, puis il déclara doucement :

  • Je me suis mordu la langue.

Après des générations de pécheurs, l'Eglise et ses paroissiens avaient, à partir du langage courant, conçu un dialecte unique fait d'euphémismes qiu rendaient la confession plus supportable. « Se mordre la langue » signifiait avoir menti, avoir trompé son prochain ou encore s'être parjuré.

La confession suivante fut celle d'une femme qui avait « pleuré d'un oeil », c'est-à-dire qu'elle avait eu des pensées impures. Le prêtre prononça un jugement lapidaire : elle devait prier cinq fois devant l'autel de Jésus. Quelques confessions plus tard, un jeune homme avoua « être tombé du lit ». Yeneta lui ordonna de prier sept fois et d'allumer deux cierges aux pieds du Christ sombre et stylisé accroché au mur.

J'avais neuf ans et je compris que j'avais péché, moi aussi, car j'étais tombé du lit après un cauchemar. Emu par le ton grave de la confession, je m'écriai :

  • Je suis tombé du lit, moi aussi !

Le silence de mort qui s'installa dans la pièce fut aussitôt rompu. On entendit fuser quelques rires étouffés. Un paroissien me pinça l'oreille, un autre me donna une petite tape sur la tête. J'appris plus tard que « tomber du lit » voulait dire avoir des relations sexuelles, acte interdit pendant le jeûne.


Nega Mezlekia

Dans le ventre d'une hyène


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