Fekade Azeze


 Fekade Azeze est né en 1950 et a étudié à l’Université d’Addis-Abeba et à Sheffield. Il est professeur agrégé de littérature et de folklore éthiopiens à l’Université d’Addis-Abeba. Il a publié cinq recueils de poèmes en amharique, deux livres sur le folklore, un livre sur la poésie de la famine et de nombreux articles sur la littérature éthiopienne.


Addis-Abeba

Je marche dans tes rues, mais je n'avance pas :

tes boutiques et kiosques m'encombrent le regard

ORL et dentistes

stands de musique

cabanes à pharmacie

photomatons

pêle-mêle!

chaotique!

tant de bars bruyants en compétition pour faire le plus de bruit

comment tant de tonnerre peut-il venir

de magasins si petits

et encombrés comme des pierres tombales ?

ce flux de personnes qui ne s’arrête jamais

pousser, prendre d’assaut, jouer des coudes

mesurer le chaos de la rue...

Je marche dans tes rues, mais je n'avance pas :

le sordide et la misère

pauvres hommes sales en haillons

tous ses hommes dormant à la dure

dans leur extrême saleté

à chaque coin de rue

je continue de me percer les yeux,

Je m’arrête et jette un coup d’œil, pas assez longtemps pour voir

s’ils sont vivants,

je marche en avant, comme tout le monde

nous tous en avant

.

Je marche dans tes rues, mais je n'avance pas :

ta population est si dense

il n’y a pas de place pour marcher!

tes corps sont si pâles et ratatinés

Décolorées!

relâchés!

Je me demande, est-ce qu’ils ont de quoi manger?

ont-ils un toit au-dessus de leur tête?

est-ce que tout le monde dort à la dure au coin des rues

allongés dans des tukuls improvisés?

empilés les uns sur les autres comme des planches?

Je marche dans tes rues, sans faire un pas,

les mains se tendent et me retiennent, un mendiant dans chaque coin:

des milliers de pères et de mères!

des centaines de bébés et de jeunes filles!

des foules de vieillards et d’adolescents maigres

sans personne pour s’occuper d’eux

tous à la recherche de déchets, vivant de déchets.

Je marche dans tes rues, sans faire aucun pas :

un garçon nu court devant moi

un autre s'accroche à une pierre ou à un bâton

d’autres à une fleur ou à un chiffon

ou à un papier

de longs cheveux noirs enfermés dans des dreads

peau brûlée au charbon de bois

criant sur les places où d’autres les traient de

fous!

mais il y a toujours une part de vérité dans ce qu’ils disent

ils n’ont personne pour s’occuper d’eux

mais ils sont tes décorations, Addis, tes plus beaux bijoux !

Je marche dans tes rues, mais je n'avance pas :

Comment ne pas jouer au football avec tes enfants?

tes rues sont un terrain de jeu

une crèche où tu élèves tes petits

tes petits cireurs de chaussures

vendeurs de billets de loterie et vendeurs de cigarettes

vendeurs de maïs q’olo, vendeurs de chewing-gum, livreurs de journaux

et les enfants qui ne font rien

les enfants qui mendient

Ecoutez! c’est la Journée mondiale de l’enfance

ils donnent un spectacle que tout le monde peut voir

sur la survie

ils ont fait de tes rues une scène.

Oui, j’ai marché dans tes rues, mais je n'avance pas.

Tes secrets sont infinis, Addis! Je vais me retirer maintenant, je vais me reposer.


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