Maaza Mengiste
Et puis un jour ce n'est rien, plus rien du tout, de leur prendre autre chose et de continuer à prendre. Voici ce qu'elle leur prend : une perle jaune, un échantillon de soie rouge, un galon doré, cinq élastiques, six piastres, un crayon cassé, un canif rouillé, une ombrelle déchirée, un fer à cheval, une petite pierre d'ambre, un miroir de poche, un encensoir, une tasse à café délicatement bordée d'or, un tampon encreur, une boussole cassée, une carte repliée, une bible miniature reliée de cuir (...)
Elle enterre ces objets avec le collier trouvé tard le soir, démontant sans bruit le tas de bois avant de le remonter méticuleusement. Elle prend ses précautions, savourant la jouissance de posséder, enhardie par la liberté soudaine que procure le vol. Elle ne craint plus de s'arrêter devant la radio quand Kidane écoute des annonces et des discours dans une langue qu'on appelle, comme elle finit par le comprendre, du français. Elle s'attarde dans le couloir lorsqu'il parle à Aster dans son bureau. Elle entend des mots nouveaux : Société des Nations, Mussolini, Angleterre, Mauser, artillerie, cuirassés. Elle l'entend donner des ordres à sa femme comme à une servante : Prépare les provisions, prévois assez d'eau pour trois jours, ne perds pas de temps avec les écharpes, laisse les autres femmes tricoter, dis-leur de se tenir prêtes, ça ne va plus tarder. Hirut écarte les détails inutiles pour guetter le nom du fusil qui appartenait à son père et qui, avant qu'on lui prenne, lui appartint à elle...
Le roi fantôme
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