Kamal Ben Hameda
Ceux que la parole du Très Haut n'atteignait pas encore dans ce bas monde, s'éternisaient devant une tasse de thé noir et épais dans le petit café en bas de la rue à gauche de la mosquée de Tripoli, où s'installaient, groupés en petits cercles, au milieu de Janan el-nouar, le Jardin des Fleurs ; un terrain vague caillouteux envahi par les mauvaises herbes, qui n'avait de jardin que le nom et des fleurs qu'une vague souvenance.
Les amateurs de discussions politiques et littéraires se donnaient rendez-vous à la librairie, en face du cinéma Lux. Ils usaient si généreusement de la parole que l'écho de leurs débats emplissait la rue d'une rumeur familière que j'aimais à retrouver quand je passais par-là pour aller au cinéma ou accompagner mon père à son magasin. Cette petite librairie a disparu après le passage des comités révolutionnaires qui ont brûlé les livres jugés dangereux, lors de la « révolution culturelle ».
Tous ces lieux n'existent d'ailleurs plus ; ni l'impasse du Robinet, ni le café d'Abdou, ni le cinéma, ni le moulin, ni le jardin des fleurs. De ce quartier je garde le souvenir de la lumière vibrante, palpitante, qui se glissait partout jusqu'au fond de la maison comme pour m'y venir chercher, de la poussière omniprésente dont les particules dansaient dans les rayons du soleil, des tâtonnements d'un enfant qui faisait ses premiers pas vers le monde le long du mur d'une claire ruelle et de la joie et du rire nu des jeunes femmes.
Les mémoires de l'absent
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