Le Livre du camp d'Aguila

 

On ignore souvent qu'il existe hors des frontières de l'Europe les mêmes lieux de déshumanisation que ceux créés par la barbarie nazie. Par ce texte, j'essaie modestement de combler un peu cette lacune en présentant le témoignage d'hommes victimes des menées coloniales du fascisme italien en Libye, le pays où je suis né.


Un poème échappé au gouffre de l'enfer : celui de Rajab Bou Houaiche Al-Mnefi, dont la parole oubliée dessine toutes les tortures infligées à sa tribu comme un avant-propos à celles qui allaient s'abattre sur l'Europe.

Là où il tourne son visage, il n'y a que ruine et désolation.

Il est interné au camp d'Aguila, du nom de cette zone désertique sur le golfe de Syrte , trois cents kilomètres à l'ouest de Benghazi, où les chances de survie sont quasi nulles : chaleur exténuante du désert, manque d'eau potable, brutalités, corvées et autres sévices exercés par les geoliers.


Mon seul tourment

le camp d'Aguila

l'emprisonnement de ma tribu

l'éloignement de mon pays


Mon seul tourment

la promiscuité dans le camp

les vivres restreints

et la perte de nos chevaux

alezans aux reflets cuivrés

doux et braves

inégalables au combat


Mon seul tourment

brisé

j'ai mal à mes terres

Akrama, Al-Adam, Assagaïf

je songe aux paturages de Lafwat

qui même arides

nourrissent de leur sein

les jeunes et frêles méharis


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