Le Livre vert
Le Livre vert des touristes
Il sait exactement ce que je viens chercher. C’est la deuxième fois que j’entre dans sa boutique sombre aux murs tapissés de livres, tout près de la principale place de Tripoli, rebaptisée Place des Martyrs après la révolution. Le libraire revient avec deux exemplaires du Livre vert. En français, s’il vous plaît ! Il sourit : « Les touristes demandent souvent le Livre vert. On dirait qu’ils considèrent ce bouquin comme un souvenir, au même titre qu’une carte postale. » Il n’a pas tort. Combien de Livres verts ai-je déjà offerts ? Amis, famille… je ne compte plus. Bien sûr, il n’est plus question, pour le vendeur, de l’afficher en vitrine, comme avant. Ce qui était bienvenu hier est aujourd’hui plus que malvenu.
Mais le vieil homme défend son affaire : « Après tout, c’est l’histoire de notre pays. Il ne faut pas les détruire. » Pour 15 LYD (8,90 €) – décidément, c’est un business, le prix a encore augmenté –, je repars donc avec ce qui était pompeusement appelé la « Troisième théorie universelle ». En gros, l’idéologie de Mouammar Kadhafi rédigée par Mouammar Kadhafi. À l’époque de son règne, tous les Libyens devaient l’apprendre par cœur. À tel point que certains confondent parfois le contenu de ce fameux Livre vert avec… celui du Coran.
Au-delà de passages assez caricaturaux, le texte présente tout de même des principes plus originaux : le droit à un toit – quitte à s’approprier la résidence d’une personne qui en possède plusieurs – et la démocratie directe et populaire, à travers des comités et des congrès. Sur le papier, cela pouvait sembler joli, mais en pratique… Dans la Libye kadhafiste, ces règles ont permis aux familles proches du pouvoir d’exproprier de nombreux libyens grâce à la fameuse loi numéro 4. Aujourd’hui, les victimes tentent de récupérer leurs propriétés saisies, mais certaines ayant été revendues entre-temps, cela pose de nombreuses difficultés juridiques. Cette question de la propriété sera l’un des défis de la nouvelle Libye.
Dumas, Maryline; Galtier, Mathieu. Jours tranquilles à Tripoli: Chroniques
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