Ali Douagi

 

Né le 4 janvier 1909 à Tunis et décédé le 27 mai 1949 à Tunis, Ali Douagi est un nouvelliste et homme de théâtre tunisien d'expression arabe. Il est aussi surnommé le « Marginal tunisien ».

Connu pour ses satires, il est l'une des figures emblématiques de la bohème et du spleen des intellectuels du groupe Taht Essour.

Douagi a été publié dans plusieurs mensuels et hebdomadaires des années 1930 et 1940. Ses écrits sont caractérisés par un réalisme souvent caricatural qui rend compte des mœurs et travers de la société tunisienne de son époque. 

Douagi meurt de la tuberculose à l'âge de quarante ans.


Le détroit des Dardanelles

ou

quand l'Occident n'est séparé de l'Orient

que par vingt mètres d'eau

au grand maximum


Le bateau glissait doucement entre les deux rives du détroit. A droite, l'Asie, à gauche, l'Europe. J'éprouvais un sentiment intense de grandeur en cet endroit de la terre, ou, plus précisément, en ce point de la mer.

Je me suis donc installé sur une chaise longue à l'avant du bateau, contemplant les deux continents, comme un époux ses deux femmes, c'est-à-dire que je dosais les regards que je jetais sur elles de façon égale et équitable (comme nous le recommande le Coran).

Dans ma femme de droite, je voyais l'orientale Asie, avec ses secrets et ses mystères, avec ce qu'il y a de grand et de noble dans l'âme de l'Orient, ainsi que ce qu'il comporte de doctrines, de sectes et de religions. Ma femme-Asie était une jeune fille à la taille élancée, au teint brun légèrement pâle, aux cheveux très noirs, avec de grands yeux fascinants et insondables. Elle portait des vêtements damassés, brodés de fils d'argent et de perles et décorés de dessins chinois. Elle fumait du tabac de Chiraz ou de Macédoine, le geste lent et serein...

Quant à ma femme de gauche, j'y voyais l'occidentale Europe, avec ses usines, ses machines, ses équipements divers et ses cheminées, fruit de la force de la matière. Je la voyais aussi avec l'invention de l'imprimerie et cet esprit d'ordre et cette calme raison qui la caractérisent, sous un ciel pluvieux et sur une terre couverte de gel neuf mois sur douze.

Ma femme-Europe était blonde et fort belle, avec un corps de sportive, une peau blanche, des yeux bleu clair. Elle portait d'élégantes robes de soirée en soie artificielle provenant de la rue de la Paix. Les jambes moulées dans des bas de soie naturelle et transparente, elle exhibait des chaussures en peau de serpent industrielle. Elle fumait des Havanes mélangés au goût américain...


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