Le conte en Tunisie
Avec les places publiques où les conteurs tenaient des séances diurnes, offrant aux badauds des contes ponctués par des chants populaires ou liturgiques, le café demeura longtemps leur lieu de prédilection, même sous l’occupation française, jusqu’à l’avènement de la radio qui va les évincer définitivement. Ils ont dû alors se contenter des places publiques. Ainsi, dans le vieux Tunis, les places de Halfaouine, Hafsia et Souk-el-Âsr vont connaître leur heure de gloire. Au milieu d’une foule curieuse toujours avide de sensations, les conteurs côtoyaient des saltimbanques de tous bords : charmeurs de serpents, montreurs de singes, voyants, jongleurs, joueurs de cartes, briseurs de chaînes, vendeurs d’herbes médicinales et des sellek-el-wâhline (sorte de troubadour satirique qui raille les travers de la société)…
Cela dura jusqu’à l’aube de l’indépendance, où les nouvelles autorités dirigeantes, sous l’impulsion de Bourguiba qui voulait moderniser le pays, s’emploient à éradiquer les racines du sous-développement et sortir la nation de sa torpeur. On s’acharne alors sur les symboles de la société traditionnelle. Tout ce qui avait un trait à la tradition était voué aux gémonies : tatouage, tenue vestimentaire (voile, turban, fez stambouliote), rassemblement de quelque nature que ce soit sur la voie publique, jeûne du ramadan, même la langue classique, jugée trop pédante et trop conformiste a cédé la place, du moins en partie, au parler de tous les jours. Certains choix ont été judicieux : abolition de la polygamie, maîtrise de la démographie, émancipation de la femme, nouveau code de la famille, scolarisation des jeunes filles… D’autres ont eu un effet ravageur. Ainsi en est-il des conteurs qui, depuis la fin des années cinquante, n’ont plus droit de cité. Chassés des places publiques, remplacés dans les cafés par la radio puis par la télévision, ils se sont éteints dans l’insouciance totale.
Un point mérite d’être noté : parallèlement à ces conteurs qui pouvaient, jusqu’à une date récente, se produire dans les espaces publics ou privés, il existe une autre catégorie, dont la contribution à la sauvegarde, la transmission et l’enrichissement du répertoire oral n’en est pas moins importante, celle des conteuses qui n’avaient dans la société traditionnelle que le cercle familial pour donner libre cours à leur don. Leur répertoire et leur public diffèrent de ceux des conteurs. Soulignant ce clivage dualiste masculin-féminin, le sociologue Abdelwahab Bouhdiba affirme qu’il y a une nette distinction à faire entre les contes d’hommes et les contes de femmes. « Les contes d’hommes virils et respectables, écrit-il, comportent toujours une morale et plutôt une bonne morale. Quant aux femmes, disons que leurs contes se moquent éperdument de la morale, du conformisme et peuvent à l’occasion être fort grivois. »
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