Albert Memmi


 

Dans mon livre Portrait du colonisé je prédisais la fin de la littérature d'expression française en Afrique du Nord. Eh bien, j'ai appris avec le temps que je m'étais trompé. Car non seulement des écrivains fort connus comme Mammeri ou Dib ont continué d'écrire en français mais également, et c'est là un fait notable, une nouvelle génération s'est mise à écrire en français. Et à cet égard je dois préciser, comme je l'ai toujours fait lors de mes conférences publiques, que les écrivains maghrébins d'expression française n'ont rien à envier à leurs pairs français ni par le style ou la forme, ni par la maîtrise de la langue ou de l'imaginaire. Ce sont d'excellents écrivains maghrébins d'expression française.

En ce qui me concerne je suis revenu plus tard à Tunis où j'ai enseigné pendant sept ans. Cette période a coïncidé avec la phase finale de la lutte du mouvement de libération nationale en Tunisie. Pour l'histoire je dirai que j'ai été parmi les membres fondateurs du premier grand journal nationaliste tunisien, l »Action de l'époque...

Donc j'avoue tout bêtement mon déchirement et mon tiraillement. Quand je rentre à Tunis, je suis à chaque fois ému par Sidi Bou Saïd et Carthage, et par les choses les plus humbles, par ces vieilles ruelles que j'adore. Mais chaque fois, au bout de quelque temps, J'ai effectivement envie de retrouver l'université. Ce n'est pas simple, vous savez, et je n'ai pas de solutions simples à proposer.


Conversation (1987)

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