Le livre des malins
Ce recueil de contes irrévérencieux, œuvre d’un des plus grands prosateurs de langue arabe, nous introduit par une porte dérobée dans l’univers des intentions cachées, des ruses ourdies dans l’ombre, des apparences masquées que le « malin » s’ingénie à déjouer en mettant à nu la suffisance des gens en place, l’hypocrisie des dévots qui campent à tous les étages du labyrinthe social.
L'homme avait prêché la charité pendant une heure, reprochant à la foule d'oublier que la mort viendra bien vite et qu'il faut donc donner aux pauvres, se satisfaire de peu et vivre dans la modestie. Puis l'orateur ajouta ces vers :
Malheur à qui recherche
les biens de ce monde
et pour les atteindre, tête baissée,
se précipite.
Sur ses mots prit fin le déluge de ses sonores. Bouche bée, l'assemblée comprit qu'il se préparait au départ et aussitôt chacun de glisser une obole dans la fente de son habit. Une petite moue aux lèvres, il accepta ces largesses et, après quelques remerciements, il planta là ses bienfaiteurs. Il faussa compagnie à ceux qui voulaient le suivre. Il égara ensuite quelques uns qui voulaient absolument faire route avec lui pour se retrouver seul dans une direction inconnue.
Moi, en catimini, je suivis ses traces à son insu. C'est ainsi que j'arrivai presque sur ses talons jusqu'à une cave où furtivement il s'était faufilé. Je fis irruption dans ce réduit et là, je le vis assis auprès d'un disciple, devant du pain blanc, un chevreau qui rôtissait sur des pierres incandescentes et une jarre de vin qui trônait. Je m'écriai :
Toi, l'homme, est-ce une façon de se conduire quand on a prononcé de tels discours ?
Le rouge lui monta au front et son visage craquela sous le coup de la colère. Je craignis qu'il n'en vint à se jeter sur moi. Mais une fois son emportement retombé, il me récita ces vers :
J'ai revêtu la tunique gansée de noir
afin de me procurer le gâteau
de froment et de miel, et j'ai fixé
un hameçon dans chaque appat.
De mon prêche j'ai fait
un filet de ruses pour capturer
gibier mâle
et gibier femelle.
Si le siècle s'était montré juste
dans ses décisions,
il n'aurait pas donné le pouvoir
aux médiocres.
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