Le livre des malins

Ce mendiant avait l'air d'avoir connu la richesse. C'était un déclassé. Je sortis une pièce et, pour en voir plus, lui dis :

  • Si, en vers, tu me fais l'éloge de cette pièce d'or, elle est à toi à jamais.

Sur-le-champ et sans emprunt aucun à nul poète, il se lança dans une improvisation :

Combien généreuse est cette pièce jaune

dont la couleur fait du bien à chacun ;

grande voyageuse, elle dépasse tout horizon

et pousse fort loin ses pérégrinations.


Le récit de ses exploits, sa renommée,

de génération en génération sont transmis ;

les rides de son front

écrivent le secret de l'opulence.


Sur son visage sont tracées les limites

exactes du succès des entreprises ;

son front brillant a été modelé

pour mériter l'amour de tous les hommes...


Et cela continua encore plusieurs strophes toutes aussi subtiles. Je lui jetai la pièce et je lui dis :

  • Serait-il dans tes cordes de prononcer le blâme de ce métal précieux afin que je te donne une autre pièce ?

Aussitôt il se lança dans une nouvelle improvisation :

Puisse-t-il s'anéantir à jamais

ce métal trompeur et insincère

dans ses affections ! De couleur jaune,

il a le visage double, tel l'hypocrite.


Sans l'or on ne couperait pas la main droite

à qui le vole, comme le Coran le prescrit ;

sans l'or, l'injustice ne naîtrait pas au cœur

de l'homme enclin au libertinage.


Sans l'or, l'avare ignorerait cette horreur

instinctive quand vient le visiteur nocturne,

et le créancier ne se plaindrait pas du retard

que met le débiteur à s'acquitter...


Et cela continua encore plusieurs strophes de la même eau. Je lui jetai la pièce et finalement je reconnus Abou Zayd. Je lui fis le reproche de faire semblant de boiter pour apitoyer l'assistance. Il me répondit :

J'ai feint d'être boiteux

non que me plaise cette infirmité,

mais pour frapper à coups redoublés

à la porte de la délivrance,


afin de pouvoir quelques instants

paître libre, la bride sur le cou,

et changer quelque peu d'ambiance

loin des sentiers battus.


Si d'aucuns blâment ma conduite,

je leur dirai : « Agréez mes excuses,

car qui boite n'est pas tenu de suivre

à la lettre les prescriptions religieuses ».



Al-Qâsim al-Harîrî

 

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