Amjad Nasser


POEME A NEW YORK

I

Avant que n'arrive ce qui est arrivé

Avant que les tours ne deviennent une marche vers l'apocalypse

Et que le monde ne se divise en pavillons de sable et d'eau

Je souhaitais faire partie des poètes

Qui maudissent New York.


Dans mon esprit le poème était prêt

Car en écrire sur la jungle de l'asphalte et du béton

Est devenu une tradition depuis que Lorca

(inspiré probablement par Whitman plutôt que par Gibran)

A ouvert la voie à ceux qui, après lui, ont pointé

Leurs poèmes acérés

Vers la Grosse Pomme

Cobra du sexe et de l'argent

Tour de Babel de notre temps.


Ils n'ont pas eu besoin de jeter dans la boue de l'Hudson les mégots de leurs cigarettes roulées et consommées jusqu'à la moelle,

De dinguer sur le pont de Brooklyn sous l'effet d'alcools frelatés,

D'écouter le jazz geindre dans la nuit de Harlem éclairée par les lames des couteaux,

De savoir que la statue de la Liberté, dont la flamme n'est plus à même d'éclairer l'aile d'un coléoptère, était originellement destinée au canal de Suez, et que la faillite de l'Etat égyptien au rythme de l'opéra Aïda avait permis à la puissance émergente de derrière l'Océan, appelé par les Arabes mer des Ténèbres, de l'acheter,

Qu'importe qu'ils soient descendus ou non dans le métro, jetant derrière eux un regard suspicieux, rares sont les poètes qui n'ont pas tenté d'en découdre avec New York,

De la décrire,

De lui promettre le sort de Sodome

Avant même de voir tomber de ses yeux de pierre

Le dé de la cruauté,

Les larmes des Noirs,

Les joies éphémères,

Les plumes maculées de ses colombes cendrées qui sont tout sauf

Un symbole de paix.


II

Je ne suis jamais allé en Amérique.

Comme beaucoup, je l'ai découverte par des films, mais aussi par des rêves et des guerres.

Elle a suscité en nous, inclinés sur les ruisseaux de sang et de sécheresse sous son vacarme métallique, l'amour et la haine.

Lors d'un séjour au Canada, j'ai décliné l'invitation de mon frère Ahmad. J'ai eu peur que mon passage à Manhattan ne corrompe mon poème qui mijotait au feu doux de mes ressentiments.


Mais après ce qui s'est passé,

Après le 11 septembre de l'année des faux prophètes et de leurs versets sataniques ; après la découverte par l'homme, dans une panique métaphysique soudaine, que ses mains entraînées aux longs vols et à l'atterrissage à la surface de l'eau, n'étaient pas, au moment de l'explosion des tours, des ailes mais deux poids qui accéléraient sa chute, je ne pouvais plus écrire ce poème.


Ainsi New York a-t-elle échappé, du moins momentanément, à un poème satirique supplémentaire sur la vantardise verticale.


C'est une fin attendue.

Mais je souhaite en proposer une autre à ce poème

Pour ceux qui se sont jetés dans le vide lors de l'apocalypse en croyant avoir des ailes, afin qu'ils sachent pourquoi cela a eu lieu :

pense ô New York au temps circulaire des proverbes,

Au sang et à l'héroïne coulant d'un graffiti,

Aux chapeaux des champignons toxiques sur la tête d'une nouvelle race de statues,

A l'ouvrier, d'habitude habillé en orange, aujourd'hui dans des vêtements de deuil,

Aux ailettes du missile Tomahawk qui laissent les yeux d'un enfant ouvert à jamais.

Pense

Pense

Peut-être les lettres des naufragés

Peinant à trouver un brin d'herbe et une goutte d'eau,

Mutilés dans l'utérus,

Figés devant une lune desséchée appelée galette de pain,

Gémissent-elles encore dans des bouteilles ballottées par les vagues.

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