Han Kang, prix Nobel de littérature
Extrait de « Impossibles adieux »
De retour dans l’appartement, plutôt que de remplir de nouveaux sacs poubelle avec le bric-à-brac empilé dans le salon, je me suis rendue dans la salle de bains. Sans me déshabiller, j’ai ouvert l’eau chaude de la douche et me suis assise sous le jet. Je me souviens de la sensation de mes pieds recroquevillés sur le carrelage, de la vapeur de plus en plus suffocante, de mon T-shirt en coton collé à mon dos et de l’eau chaude qui ruisselait le long de ma frange qui avait poussé au point de cacher mes yeux, puis le long de mon menton, sur ma poitrine, jusqu’à mon ventre.
Je suis sortie de la douche, j’ai ôté mes vêtements trempés et j’ai tiré de la pile destinée au rebut de quoi me vêtir. J’ai plié en quatre deux billets de dix mille wons que j’ai glissés dans ma poche et j’ai quitté l’appartement. J’ai marché jusqu’au restaurant de bouillie de riz, derrière la station de métro, j’ai commandé celle aux pignons de pin, qui semblait la plus douce. Pendant que je mangeais lentement ce plat trop chaud, je regardais les passants derrière la porte vitrée, leurs corps qui semblaient si fragiles, susceptibles de se briser à tout moment. J’ai réalisé à quel point la vie elle-même était fragile. Ces chairs, ces os, ces vies qui pouvaient être brisés, tranchés, et avec une telle facilité. Par la décision d’une seule personne.
Ainsi la mort m’a-t-elle frôlée sans m’atteindre. Tel un astéroïde qui aurait pu entrer en collision avec la Terre mais qui n’a fait que la frôler en raison d’une légère erreur sur le calcul de la trajectoire. À une vitesse folle, sans hésitation ni remords.
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