LA DETTE en 2123

Dans notre petit village -il n'y avait plus que des petits villages depuis l'immense krach boursier, écologique et politique de 2035- nous étions nus. En effet, le réchauffement climatique avait cet avantage de nous permettre de vivre en tenue d'Adam et Eve. Un vaccin contre le mélanome nous protégeait du cancer de la peau. Nous avions quelques heures d'électricité le lundi, cinq bouteilles d'eau le mardi, une livraison de trois pains le mercredi, un livre au choix nous était proposé le jeudi, nous avions le droit à quatre litres d'essence le vendredi, à un sac de riz ou de boulgour le samedi et à un billet pour le théâtre le dimanche.

C'est donc le lundi que François Bayrou nous apparaissait à la télévision. Il avait alors 172 ans et il ne faisait pas plus son âge qu'en 2025. Il tentait de nous raisonner : « Chers compratiotes (oui, il avait quelques défauts d'élocution, mais enfin on comprenait le sens général) si vous ne payez pas LA DETTE, ce sont vos enfants qui vont devoir la payer, c'est ce que je disais déjà à vos parents et à vos grands-parents, qui ne m'ont pas écouté. On vit au-dessus de nos moyens. Avez-vous besoin de cinq bouteilles d'eau, franchement ? Et pourquoi quatre litres d'essence ? Il faut réduire notre consommation et le nombre de jours dans la semaine. C'est pourquoi j'ai décidé de supprimer le dimanche, ce qui nous fera une économie en billets de théâtre. Parce qu'enfin est-ce le moment de se distraire alors que LA DETTE est devant nous comme un film d'épouvante permanent ? »

En réalité, ça faisait peur. A l'école, on racontait l'histoire sans fin de LA DETTE : « Il était une fois une petite dette, gentille comme tout, qui faisait la quête. Mais personne ne donnait jamais. Alors la petite dette a gonflé comme le bœuf de la fable et elle a explosé ! » Et à ce moment-là les enfants pleuraient et, en rentrant chez eux, ils invectivaient leurs parents responsables de tant de malheurs. Les parents répliquaient : « C'est Pépé qui n'a jamais voulu payer LA DETTE ! »

C'était devenu une angoisse existantielle. Ainsi une jeune fille prénommée Odette fut lapidée. Bien sûr, c'était un peu exagéré, mais il fallait comprendre la pression de tous les instants que supportaient les habitants.

Des églises organisaient des cérémonies expiatoires pour tenter d'amadouer le monstre :

« Ô DETTE

prends pitié de ton pauvre peuple

qui crie vers toi dans un bel élan

nous nous repentons chaque instant

pardonne-nous nos offenses

comme nous pardonnons à nos parents

qui n'ont pas écouté la voix de la raison

Amen ! »

Et le lundi suivant Bayrou revenait et nous expliquait : « Chers cons pas patriotes pour deux sous, il faut payer LA DETTE, sinon... Sinon... Sinon... Enfin, ce que je veux vous dire, c'est que je resterais vivant tant que vous n'aurez pas payé LA DETTE. »

L'argument fut décisif ; on s'est cotisé et on a payé. On n'avait plus le choix.


 

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