Naoya Shiga

NAOYA SHIGA (1883-1971) Écrivain japonais. Il se convertit au catholicisme en 1908. Ses nouvelles, par ex; A Kinosaki, et son unique roman Errances dans la nuit font de lui un maître du Watakushi shōsetsu (fiction basée sur la vie quotidienne de l'auteur) . Il comptait parmi ses amis le fameux réalisateur Yasujirō Ozu.

A Kinosaki

Un matin, je sortis de l'hôtel avec l'intention de me rendre au parc de Higashiyama d'où l'on aperçoit la rivière Maruyama et la mer du Japon dans laquelle elle va se jeter. En un certain endroit, les uns du haut d'un pont, les autres de sur les bords, des gens debout regardaient quelque chose dans la rivière, en faisant beaucoup de tapage. Ce qu'ils regardaient était un rat énorme qu'ils avaient jeté à l'eau. La pauvre bête nageait désespérément pour se tirer de là ; on lui avait passé en travers de la peau du cou une brochette à griller les poissons d'un peu plus de vingt centimètres de long, qui dépassait au-dessus de sa tête, et ressortait sous la gorge. Le rat essayait de grimper le long du mur de pierre. Quelques gamins et un tireur de pousse-pousse d'une quarantaine d'années lui lançaient des cailloux. Ils le manquaient à chaque coup. Les projectiles ricochaient sur les pierres avec un bruit sec. Non sans mal, le rat réussit à agripper, avec ses pattes de devant, le bord de la crevasse dans la paroi. Il tenta de ramper à l'intérieur, mais la brochette, se mettant tout de suite en travers, le fit retomber dans l'eau.

Je ne me sentais aucunement le goût d'assister aux derniers instants du rat. Je n'arrivais pas à chasser de mon esprit l'image tenace de cette bête vouée à la mort et qui, accablée par une fatalité inéluctable, n'en épuisait pas moins ses dernières forces à courir de toutes parts à la recherche d'une issue. Je me sentis affreusement triste et écoeuré. C'était cela la vérité : la paix à laquelle j'aspirais était précédée de pareilles souffrances. C'était épouvantable. Quel que fût pour moi l'attrait du grand repos posthume, par quels soubresauts ne fallait-il pas passer avant d'y pouvoir atteindre ! Terrifiante pensée !