Si j'étais ministre de la Culture
Je sais ce que je ferais, si j'étais ministre de la Culture.
Je pratiquerai sans discontinuer une politique de terrorisme culturel. Je commencerai par payer grassement une armée de censeurs machiavéliques et subtils qui s'emploieront à démasquer les intellectuels de tout bord qui se verront offrir la reconversion, le silence ou l'exil. J'interdirai l'Histoire, et rayerai cette dangereuse discipline des enseignements universitaires. Je réduirai progressivement le nombre de journaux pour n'en plus laisser qu'un seul, à lire ou à ne pas lire, tenu de répéter ce qu'aura seriné la veille une radio en permanence encerclée par des blindés et qui annoncera imperturbablement un ciel d'azur sur tout le pays. Je cadenasserai les portes des téléscripteurs des agences de presse étrangères. J'oublierai d'importer des livres, et laisserai tranquillement chômer acteurs, cinéastes, hommes de théâtre. Je jetterai l'anathème sur les écrivains qui publient à l'étranger et j'égarerai les manuscrits de ceux qui veulent se faire éditer au pays. Alors, pour occuper la scène, je ferai importer, directement d'Amazonie, des aras somptueux, pour les produire à la télévision et laisser le peuple s'extasier de les voir affirmer d'austères évidences dans un langage ésotérique et rare.
Rachid Mimouni « Le Fleuve détrourné » (1982)
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