Conte du Japon

Le rêve de l'apprenti

Jadis, quelque part, un gros richard. Le 3 janvier, les serviteurs mangent exceptionnellement dans la salle à manger. C'est le patron qui leur apporte le repas, leur verse le saké ; et il leur dit :

• Les rêves que vous ferez cette nuit, racontez-les moi demain ; je vous les achète.

Le matin venu, le plus vieux des serviteurs dit :

• Je n'ai rien rêvé.

Le second serviteurs dit :

• Je n'ai rien rêvé, mais j'ai bien dormi.

Le troisième dit :

• Moi, de même.

Aucun des domestiques n'a de rêve à raconter, sauf le plus jeune, un apprenti de 15 ans. Le patron lui dit :

• Vends-moi ton rêve.

• Je ne peux pas.

Le patron double, puis triple la somme, mais l'apprenti refuse toujours. Le patron se fâche et envoie le jeune homme dans une barque avec juste un peu de farine. Poussé par le vent et les vagues, il aborde une île habitée par des singes. Ceux-ci veulent le manger. Il proteste, leur jette quelques gâteaux et fuit vers sa barque. Il navigue de nouveau. Une autre île. Cette fois, ce sont des ogres de toutes les couleurs, qui se pourlèchent les babines et claquent la langue :

• Un jeune humain, c'est très savoureux !

Il leur jette des gâteaux ; les ogres n'en veulent pas. Alors l'apprenti leur explique son histoire. Les ogres acceptent de lui laisser la vie sauve et des cadeaux en échange du récit de son rêve.

• Quels cadeaux ?

• Une massue en fer. Si tu la brandis, tu peux voler sur mille lieux.

• Hum... Seulement ça ?

• Et puis aussi deux aiguilles. Si tu piques un humain avec celle-là, il meurt de suite. Et avec l'autre, si tu piques un mort, il revit de suite.

• Soit ! Je vais vous dire mon rêve, mais donnez-moi d'abord les cadeaux.

Il les reçoit, saute dans sa barque avec les aiguilles, brandit la massue et s'envole à la barbe des ogres qui pleurent des larmes grosses comme pommes, poires, choux.

L'apprenti atterrit dans un manoir où il y a beaucoup d'allées et venues.

• Pourquoi tout ce mouvement ?

• La jeune fille de la maison est sur le point de mourir.

Le jeune homme attend qu'elle meure, la pique de sa deuxième aiguille et la guérit. Le père de l'ex-morte est fou de joie et couvre l'apprenti de bienfaits. Et bientôt il lui donne sa fille.

De l'autre côté de la rivière, le richard d'en face a sa fille qui meurt. L'apprenti va aussi la guérir de la même manière. Même résultat. Il devient bigame. On construit pour lui un pont doré et ressemblant à un arc-en-ciel. Deux fois par mois il franchit ce pont pour passer alternativement quinze jours avec chacune de ses femmes.

Le rêve de l'apprenti, c'était ce pont arc-en-ciel.