Jules Verne for ever
Il faut lire et relire le Tour du monde
en 80 jours de Jules Verne. On pense souvent qu'il s'agit là d'une
lecture pour enfants. On reste persuadé que ce sont des romans
d'aventures. On se dit aussi que c'est un auteur didactique, maître
en sciences de l'époque et en géographie d'antan. Oui, oui, tout
cela est vrai, mais l'inverse est vrai aussi. Ce qui frappe le
lecteur d'aujourd'hui, c'est d'abord l'humour. En voici justement
quelques traits dans ce Tour du monde :
On disait qu'il ressemblait à Byron
-par la tête, car il était irréprochable quant aux pieds-
Il n'appartenait à aucune des
nombreuses sociétés qui pullulent dans la capitale de l'Angleterre,
depuis la Société de l'Armonica jusqu'à la Société
entomologique, fondée principalement dans le but de détruire
les insectes nuisibles.
Phileas Fogg avait donné son congé à
James Forster, -ce garçon s'étant rendu coupable de lui avoir
apporté pour sa barbe de l'eau à quatre-vingt-quatre degrés
Fahrenheit au lieu de quatre-vingt-six...
Phileas Fogg avait quitté sa maison de
Saville-Row à onze heures et demie, et, après avoir placé cinq cet
soixante-quinze fois son pied droit devant son pied gauche et cinq
cent soixante-seize fois son pied gauche devant son pied droit, il
arriva au Reform-Club.
Une liasse de bank-notes, formant
l'énorme somme de cinquante-cinq mille livres, avait été prise sur
la tablette du caissier principal de la Banque d'Angleterre. A qui
s'étonnerait qu'un tel vol eût pu s'accomplir aussi facilement, le
sous-gouverneur Gauthier Ralf se bornait à répondre qu'à ce moment
même, le caissier s'occupait d'enregistrer une recette de trois
shillings six pence, et qu'on ne saurait avoir l'oeil à tout.
Puis il se fit servir à déjeuner dans
sa cabine. Quant à voir la ville, il n'y pensait même pas, étant
de cette race d'Anglais qui font visiter par leur domestique les pays
qu'ils traversent…
On pourrait multiplier à l'infini les
exemples de cet humour et de cette ironie, toujours mis en scène
dans un style d'une grande élégance. Même quand les héros sont en
très fâcheuse posture, le lecteur lui-même garde le flemme de
Phileas Fogg. Et ce dernier, de part son attitude hiératique et
excentrique, nous apparaît si éloigné de nos mœurs qu'il semble
être vu à travers le brouillard. (en anglais it's foggy :
il y a du brouillard) En fait, il semble que Jules Verne se soit
amusé des préjugés sur le caractère des Anglais et des Français.
Car, tout de même, il y a Jean Passepartout. Encore un nom
prédestiné pour faire le tour du monde. Lui, il a ce que tout le
monde considère comme l'esprit français : courageux, fidèle,
mais un peu gaffeur, un peu maladroit dans sa droiture. Il se dépeint
lui-même avec cet humour qui gagne tout le livre :
Je suis devenu professeur de
gymnastique, afin de rendre mes talents plus utiles, et, en dernier
lieu, j'étais sergent de pompiers, à Paris. J'ai même dans mon
dossier des incendies remarquables.
Et c'est donc l'association
Fogg-Passepartout, un Anglais au nom de brume et un Français dont on
vantera la débrouillardise, qui va réussir un pari insensé.
D'ailleurs, le lord y gagnera en plus un mariage avec Mrs Aouda, une
indienne veuve qu'ils avaient sauvé du bûcher. Phileas Fogg l'a
prise sous sa coupe en risquant de perdre pari et fortune. Mais il ne
l'a jamais regardée, sauf en arrivant à Londres. Ou on voyage ou on
tombe amoureux, on ne peut pas faire les deux choses en même temps.
Alors bien sûr que les enfants
trouvent encore leur compte en lisant Jules Verne, mais vraiment les
adultes n'y perdront jamais leur temps.
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