Leopoldo Marechal
Le style de Leopoldo Marechal est
unique. Il combine humour, philosophie, poésie et même théâtre,
comme en témoigne ce passage du dernier paragraphe de son roman
« Adan Buenosayres » : Plus affreux que la peur à
minuit. Sérieux comme braguette d'un moine. Plus avenant que chien
de riche. Pointu comme couteau de vieux. Plus plissé que tabatière
d'immigrant. Merdeux comme espadrille de Basque laitier. Plus rude
que bousculade de cochon. Capricieux comme un poney de lavandière.
Et surtout solennel comme un pet d'Anglais.
… le vieux et illustre Glyptodonte de nos pampas.La vétusté de l'animal était paléontologique : sa carapace, couverte de craquelures et du sel de mille siècles, s'était cristallisée sur lui, formant un deuxième croûte aussi résistante ; de la carapace sortaient quatre pattes gigantesques, achevées en des ongles rongés et sales, et une tête ridicule à force d'insignifiance, que le Glyptodonte dressait avec beaucoup de dignité. Pourtant, ce qui étonna le plus les aventuriers, ce fut la face du monstre, entaillée de balafres, pourvue d'une bouche édentée, d'un nez que souillait une morve antédiluvienne et de deux petits yeux ; à travers leurs chassies fossiles filtrait un regard désorienté, égaré dans le souvenir de barbares tristesses géologiques.….................................................Le Glyptodonte répondit qu'il n'était pas disposé à écouter des sottises ni à signer des autographes, ni à se laisser interviewer, ni à servir les intérêts de la basse politicaillerie ; puis il menaça très sérieusement de mettre les bouts et de retourner à ses domaines fantomatiques. Mais son Grand Prêtre Bernini l'implora dévotement de laisser avant de partir un message aux générations futures. A ces mots, et lui répondant d'un geste affirmatif, le Glyptodonte leva la queue, laissa tomber sur le sol trois grands sphères de crotte fossile et fila dans la noirceur qui l'avait engendré. Ce message n'a heureusement pas été perdu : l'une de ces sphères, aujourd'hui au Musée National de Sciences Naturelles, est classée à tort comme aérolithe ; l'autre, au Musée Historique, figure en tant que projectile de mortier lancé lors de la Guerre du Paraguay ; la dernière, soutenue par deux cyclopes de béton armé, représente, sur la coupole du journal « El Mundo », le globe terrestre.
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