Brandán Caraffa
Alfredo Brandán Caraffa (Córdoba 1898- Buenos Aires 1978) fut un romancier et poète argentin, participant au mouvement de l'Ultraïsme. Il fut un fervent défenseur de l'avant-garde dans son pays. Le texte qui suit est un article de la revue PROA (1924). On pourra le rapprocher des textes futuristes italiens et de leur volonté d'exalter l'industrie.
Esthétique vive
Les artistes d'aujourd'hui,
lorsqu'ils observent les grandes réalisations de l'industrie
moderne, ressentent la nostalgie poignante de la vie active. Ces
formidables squelettes de fer qui semblent contempler dans la nuit
l'ombre des antiques tours de Babel, réalisent pour le créateur
tout ce qu'il a pu rêver. L'esthétique court le long de ses nerfs
rigides avec l'agilité tranquille de la mesure et du calcul. Dans la
fuite des lignes et des angles, la sensation de la chair face au
gigantesque coïncide exactement avec l'émotion ressentie devant une
œuvre d'art.
La mer et la montagne sont
sublimes ; elles ne le sont pas en elles-mêmes, mais par ce
qu'on ressent. Elles nous sont hostiles, et toujours l'homme
tremblera devant la vague déferlante ou la pente vertigineuse. Bien
sûr, lorsqu'elles sont réduites dans le cadre d'un tableau, d'un
poème ou d'une symphonie, nous nous trouvons devant elles dans une
optique esthétique, et l'émotion devient ainsi spéculative.
Les grandes réalisations
modernes, au contraire, enferment le sublime en elles-mêmes. Devant
elles l'homme se sent plus sûr, et pénètre sous ses grandes
arches, avec la même émotion que devant un tableau de la mer. Pas
devant la mer elle-même, car elle est danger, et la peur nous
éloigne de l'esthétique. La grande œuvre, c'est la confiance,
c'est l'optimisme, c'est la vitalité, et ce sont les éléments
vivifiants de la beauté.
Dans son combat pour créer,
l'artiste et le penseur s'éloignent trop de l'activité des hommes.
Et quand nous admirons l’œuvre et que nous contemplons la vie
réelle, nous sentons cette poignante nostalgie pour le concret et
pour l'humain, qui se réalise et se justifie dans l’œuvre sociale
de l'architecte. Que c'est petit un livre, un tableau ou une statue,
quand nous sentons la chair souffrante de la foule réfugiée dans
les douces cellules d'un gratte-ciel !
Homère, Dante, Michel-Ange,
Beethoven furent de véritables architectes. Ils ont construit les
plus étonnants gratte-ciel de l'esprit. En eux continueront de se
réfugier les générations, et quand bien même il ne resterait plus
rien de New York, ses divines coupoles étonneront les astres comme à
la première heure de la création.
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