Le coronavirus et la misère du capitalisme

Le journal argentin "Pagina 12" publie un article écrit par l'économiste Pedro Gaite, et c'est une analyse d'une grande pertinence.


Le coronavirus et la misère du capitalisme

La pandémie du coronavirus met à jour les misères du capitalisme financier. Les pays européens ont évité de prendre des mesures drastiques contre le virus par crainte de nuire à l'économie et aujourd'hui l'Europe a plus d'un millions de personnes contaminées et des milliers meurent tous les jours. Donald Trump s'oppose aux gouverneurs qui ont décrété la quarantaine malgré le fait que les Etats-Unis est déjà, et de loin, le pays le plus touché et où l'on déplore le plus grand nombre de morts. Son principal conseiller économique, Larry Kudlow, dit que pour la situation économique, la fermeture des frontières pour éviter la propagation n'est peut-être pas utile. Le vice-gouverneur du Texas, Dan Patrick, considère que les personnes âgées du pays sont disposées à mourir pour ne pas nuire à l'économie et pour soutenir les Etats-Unis ; « Vous venez de dire qu'il y a pire que de mourir du coronavirus ? » lui a-t-on demandé, et Patrick a répondu : « Oui, sans aucun doute. »
En Amérique Latine, Jair Bolsonaro exige la réouverture des commerces ; il a renvoyé le ministre de la Santé qui préconisait le confinement et, comme Trump, il fait face à des gouverneurs qui ont organisé la quarantaine. Il avait même décidé de suspendre les contrats de travail pendant quatre mois sans solde, mais il a dû faire machine arrière devant le nombre des critiques.
Ces décisions sont le résultat de la logique capitaliste, dont l'objectif est la maximalisation des profits. Seulement l'épidémie du coronavirus met sur la table une question qui est sous-jacente au capitalisme : Qu'est-ce qui est le plus important : la vie ou le profit ?

INEGALITE
Dans l'optique du capital le virus peut avoir des conséquences positives. La population qui va mourir est dans sa majorité peu intéressante du point de vue productif. Les gens âgés qui sont à la retraite et qui ne créent pas de richesses. Quand Dan Patrick répond qu'il y a quelque chose de pire que la mort, il veut simplement expliquer la logique du système.
Depuis qu'a été confirmé le premier cas de coronavirus (21 janvier 2020) la maladie a tué au (22 avril) quelques 183 000 personnes dans le monde. Dans le même temps sont mortes également 950 000 personnes, pour d'autres causes, pour n'avoir pu le plus souvent accéder à des soins, selon l'ONG Oxfam. La pauvreté tue plus que le virus.
Cette pauvreté est l'autre face de l'extrême inégalité que génère le système. En 2019, les 2153 milliardaires possédaient plus de richesses que 4 600 millions de personnes. Pour cette élite, chaque accroissement des richesses se traduit par un 0 en plus sur leurs comptes en banque. On pourrait réduire de 10% leur part et ils pourraient continuer à se payer manoirs, yacht et tout le luxe qu'ils désirent. Alors que quasiment la moitié de la population mondiale vit avec moins de 5,5 dollars par jour.
Un de ces milliardaires est Paolo Rocca, propriétaire de Techint, qui a renvoyé 1450 travailleurs de son entreprise de construction à cause de la quarantaine en Argentine. Il aurait pu payer ses salariés avec une partie des 400 millions de pesos qu'il a encaissé l'an dernier par l'exonération des charges sociales qu'il a obtenue gracieusement du gouvernement Macri. Sans parler des 9100 millions de pesos qu'a blanchis la direction de l'entreprise en 2016.
La règle de la logique capitaliste c'est le néolibéralisme. Ce dogme repose sur trois grandes prémisses :
  1. Le marché est le meilleur régulateur des ressources.
  2. La méritocratie.
  3. La théorie du ruissellement.
LE MARCHE
L'idée-maîtresse du néolibéralisme est que le marché est le meilleur régulateur des ressources, et que, par conséquent, l'intervention de l'Etat dans l'économie doit se réduire à sa plus simple expression. Chaque individu (ou chaque pays) cherchant son propre bénéfice individuel contribue de la meilleure façon possible à maximiser le bénéficie social.
Cette tromperie est d'autant plus manifeste dans les situations critiques. En ces jours de crise du coronavirus nous voyons les fondamentalistes de la dérégulation reconnaître le rôle-clef de l'Etat. Tous les pays mettent en avant une politique fiscale et monétaire expansive pour essayer de freiner la baisse de l'activité économique.
Pour certaines puissances mondiales comme la France, le Royaume Uni et l'Allemagne les paquets fiscaux dépassent 14% du PIB. Ce sont ces mêmes puissances qui par l'intermédiaire du FMI ont exigé de la Grèce une sévère purge qui a plongé son économie dans huit années de récession et baisse de 30% du PIB et des salaires.
Elles ont aussi envisager de nationaliser les entreprises les plus importantes devant les difficultés financières actuelles, alors qu'elles avaient exiger de la Grèce qu'elle privatise son énergie, ses télécommunications, ses ports, ses aéroports et tout ce qu'il y avait d'entreprises publiques.
C'est la technique de « retirer l'échelle ». Tous les pays se développent sur la base d'une politique protectionniste dans ses premières étapes de développement, avec un Etat actif qui investit dans des secteurs stratégiques et stimule le secteur privé. Ensuite ils exportent dans le monde l'idée du libre marché comme recette du succès, et quand ils n'arrivent à convaincre les leaders des pays en marge, ils les obligent par le biais du FMI, de la Banque Mondiale et de l'OMC.

LA MERITOCRATIE
L'imaginaire néolibéral pose comme principe que le succès est le résultat exclusif de l'effort personnel. Pourtant on estime que le tiers des richesses des milliardaires provienne de l'héritage. Pendant qu'ils accroissent confortablement leurs fortunes par la frénésie de la spéculation financière, le système tient par les emplois précaires et mal rémunérés.
Prendre soin des enfants, des personnes âgées, des malades physiques et mentaux, ainsi que les taches domestiques quotidiennes sont un exemple évident. Si personne n'investissait du temps dans ces taches l'économie mondiale s'écroulerait complètement. Les femmes réalisent les trois quarts de ce travail, en général sans recevoir un centime. Par conséquent 42% des femmes en âge de travailler ne font pas partie de la main d'oeuvre rémunérée contre 6% pour les hommes.
De la même manière dans les pays sous-développés on ne passe pas plus de cinq ans de scolarité contre plus de douze ans dans les pays développés.Clairement les chances ne sont pas égales. La méritocratie dépend du sexe, du statut social, de la race, de l'ethnie, de la nationalité.

LE RUISSELLEMENT
Le troisième mythe du néolibéralisme est la théorie du ruissellement, qui explique qu'une distribution de la richesse pour les plus riches est ce qu'il y a de mieux pour la société. Comme ceux qui ont le plus sont propriétaires des moyens de production, ils vont investir plus et cela va générer des emplois et un bien général pour la société. C'est ainsi qu'on justifie la réduction des impôts pour les grosses fortunes (et même l'étatisation de leurs dettes) et la flexibilité pour le monde du travail. Seulement quatre cents de chaque dollar perçu proviennent des impôts sur la richesse.
Les millionnaires profitent des impôts les plus bas et de plus, à travers toute sorte de manœuvres financières comme les comptes dans les paradis fiscaux dissimulent jusqu'à 30% de leurs obligations fiscales. Pendant que la grande majorité cherche quelques miettes qui ruissellent, en général avec peu de réussite. Une augmentation de 1% de l'impôt sur les grandes fortunes permettrait de recouvrer des fonds nécessaires pour investir dans la création de 117 millions de postes de travail dans des secteurs comme la santé et l'éducation.
Le capitalisme financier, dans sa version néolibérale, est un système qui donne la priorité aux profits exorbitants de quelques uns contre la possibilité de la majorité à avoir une vie digne. C'est également favoriser la production et la consommation effrénées au détriment de l'environnement.
Comment expliquer qu'1% des plus riches dispose de plus du double de la richesse de 6 900 millions de personnes ? Que chaque jour 10 000 personnes meurent pour n'avoir pas eu accès aux soins ? Qu'un enfant sur cinq n'a pas pu accéder à l'éducation ? Qu'on fasse exploser des montagnes et contaminer des milliers de litres d'eau pour obtenir des métaux précieux et pour alimenter l'ego d'une minorité de privilégiés ? Qu'on rase des forêts aux bois essentiels pour augmenter la surface cultivable pour aliments transgéniques ? Que les avancées technologiques soient une menace pour des millions de postes de travail au lieu d'être une opportunité pour éliminer le travail précaire et améliorer la vie de millions de gens ? Que la science et la technique continuent d'être au service des industries d'armements, responsables de tant de morts? Que les Etats-Unis aient plus de missiles que de lits dans les hôpitaux ? Qu'en Argentine les fonds rapaces aient une rentabilité de 1600% au prix de la faim du peuple ? 

La pandémie du coronavirus nous invite à repenser notre avenir : quoi produire ? Comment le faire ? Pour quoi et pour qui? Quels travaux sont essentiels pour la survie humaine ? Lesquels vont améliorer notre qualité de vie et lesquels vont reproduire simplement un système d'exclusion ?
C'est le moment de repenser notre organisation comme espèce. Les ressources naturelles sont suffisantes pour que tout le monde mène une vie digne, sans la faim et sans le minimum vital. Mais pour cela, nous devons abandonner l'individualisme qui est le propre de ce système et penser en termes de salut collectif. Les avancées de la science et de la technologie nous donnent une opportunité unique pour le travail insalubre et que personne ne veut plus faire soit réalisé par des machines. C'est le moment pour que la science et la technologie soit au service de l'amélioration de la qualité de la vie de tous et de toutes. Le moment de mettre la vie et l'environnement au centre de tout.
Pedro Gaite
économiste
Journal Pagina 12
* Economista UBA. Becario doctoral CENES-Conicet.
*Nota: Los datos incluidos en el artículo son de la ONG Oxfam. 


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