Patricia Zangaro

 


Née à Buenos Aires en 1958, elle a écrit une vingtaine de pièces de théâtre, toutes créées - et publiées pour la plupart - parmi lesquelles Hoy debuta la finada (1988), Pascua Rea (1991), Por un reino (1993), Auto de fe… entre bambalinas (1996), Ultima luna (1998) A propósito de la duda (2000), Las razones del bosque (2002), La Hora Nona (2006) et Una comedia bareback sobre el sida (2006)… Elle a obtenu plusieurs prix. Ses pièces sont traduites en français, anglais et portugais.

TRÍPTICO DEL TEATRO ARGENTINO

Le Triptyque du Théâtre Argentin est une recherche sur les origines du théâtre national, qui fut imaginée pour le cycle « Théâtre et Identité » et qui est composée de trois textes brefs. Le premier s'intitule Le vol du condor (à partir de la figure de Pablo Podestá),


Le vol du condor (2012)

Si nous n'avions pas dénigré inconsciemment le cirque, si nous n'avions pas aspiré à magnifier nos pièces en changeant de lieux d'action, abandonnant la piste pour la scène, nous aurions aujourd'hui les formes de la représentation dramatique les plus originales du monde.

(Enrique García Velloso, hommage à José Podestá, 25 juin 1925)


PABLO – J'ai comme un bruit de chignole dans la tête. Je suis seul. Face au public. J'ai parlé. Et maintenant je fais silence. « Et quand ce malheureux, ce vieux Zoilo, fatigué, défait, bon à rien, sans espoir, fou d'orgueil et de souffrances, se décide à en finir une bonne fois avec cette ordure qu'est la vie, tout le monde court pour l'arrêter. Ne te tue pas, la vie est belle ! Belle, comment ça ? C'est Anicet qui a voulu m'empêcher. Il m'a enlevé le couteau. Et il est sorti de scène. Je suis seul. La lumière des projecteurs m'aveugle. Je sens la respiration du public. Dans l'obscurité. Alors je vais jusqu'à la baraque. Je caresse le lit de ma fille morte. Un instant. Eternel. Je vais jusqu'au tonneau. Je remplis un broc d'eau. Je veux le boire d'une traite. Mais le broc tombe. Il se brise sur le sol. Et le public sursaute. Je me nettoie la commissure des lèvres, et je regarde l'auvent... Quel jour sommes-nous aujourd'hui ? On est en juillet 1919 et à Rosario. Il y a du sang dans les rues. Un cheval traîne un vieux sur le pavé, et les cahots lui détruisent la tête. La Ligue Patriotique est sorti pour chasser les Juifs. « Mort à l'anarchisme ! » crient-ils. Et ils frappent une femme et son enfant.

J'ai toujours ce bruit de chignole dans la tête. Je suis resté seul en scène. Derrière le décor, ils ont commencé à m'épier. Les comédiens et les machinistes. Ils murmurent dans la pénombre. « Qu'est-ce qu'il lui arrive à Pablo ?  Pourquoi il ne dit plus rien? » Jamais ils n'ont compris la force du silence. « Il est fatigué de répéter des textes dont la signification lui échappe. » dira de mon mutisme un critique de La Nación.

Moi, j'aurais voulu être un personnage qui ne parle pas. Qui fait tressaillir le public avec la douleur de son silence. Comme la corde du violoncelle quand mes doigts la frôlent.

Il y a du sang sur les trottoirs. Ce sont les trapézistes, ils travaillent du matin au soir pour un salaire de misère. Et s'ils vont jusqu'à la grève, on les massacre. Moi, je suis un condor.



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