Albert Cossery


 

C'était l'hiver, le terrible hiver de l'Egypte misérable. La journée avait commencé dans l'horreur d'un froid glacial. D'abord, le vent avait harcelé la ville moderne et ses bâtisses en béton armé, pareilles à d'invincibles forteresses. Puis, il avait déferlé comme un sauvage sur les quartiers populaires. Là, aucun obstacle sérieux ne s'opposait à l'énormité de son élan. Il avait pris d'assaut l'infini des masures et rempli les venelles de son souffle dévastateur. C'était un vent glacial, chargé d'une humidité nocive. Il passait à travers les cloisons branlantes des taudis ; il pénétrait les ruines ; il s'enroulait autour d'infâmes décombres, soulevant partout l'odeur pestilentielle de la misère.

Tapie au sommet de la venelle des Sept Filles, la maison de Si Khalil, le propriétaire dégoûtant, craquait sous la rafale et achevait de se convertir en ruines. Il faut dire l'atroce vérité. Cette maison ne tenait debout que par miracle. Seuls, des fils de putain, aveuglés par la misère abjecte, pouvaient abriter leur chétive existence entre ces murs délabrés. Une vulgaire baladeuse de marchand de laitues, passant par la venelle, la faisait chanceler sur sa base. Aussi, pour prévenir tout danger, avait-on interdit l'accès de la venelle à tout genre de véhicule ; et même à certains vendeurs ambulants, dont la voix trop puissante risquait -par des déplacements d'air néfastes- de précipiter la catastrophe.

Quant à ses locataires, c'étaient des gens endurcis à tout, depuis longtemps habitués à toutes les terreurs hallucinantes de la vie des pauvres. Leur étrange misère ne leur laissait pas le temps de comprendre et de crier. D'ailleurs, à quoi bon crier ? Là où ils étaient, personne ne pouvait les entendre. Alors, ils se disaient avec sagesse qu'un malheur qu'on connaît vaut sans doute mieux qu'un malheur sournois et qui se cache.


La maison de la mort certaine

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