Jalal Barjas
L’écrivain jordanien Jalal Barjas, qui a décroché en 2021 le Booker Prize, prix du meilleur roman arabe, était au 25ème Salon international du livre d’Alger (SILA), lundi 28 mars 2023.
Il
est revenu sur son parcours littéraire après une carrière de
presque vingt ans au sein de l’aviation militaire jordanienne. « Je
me suis intéressé à l’écriture parce que ma grand-mère me
racontait des contes dans mon village les soirs d’hiver. Quand
j’étais en poste dans le sud de la Jordanie, un désert où il n’y
ni arbre ni maison ni verdure ni eau, j’ai commencé à écrire de
la poésie pour affronter cette sécheresse. La poésie est le
« diwan » des arabes. J’écrivais la poésie
parallèlement aux romans. C’était un vrai exercice pour moi »,
a-t-il confié, lors d’une estrade qui lui a été consacrée à la
salle des conférences du SILA.
Le
débat avec le public s’est concentré sur l’œuvre majeure
de Jalal Barjas « Les registres de papier », paru à
Beyrouth, et primée par le Booker Prize, attribué au meilleur roman
arabe, en 2021. C’est l’histoire de Brahim, un papetier cultivé,
qui lit beaucoup de romans au point de camper les personnages et
d’avoir des troubles psychologiques.
« Le roman est une dénonciation du système officiel arabe qui a crée beaucoup de marginaux et contribué à l’augmentation de la pauvreté. L’homme arabe réfléchit aujourd’hui à migrer chez l’autre. La culture ne fait plus partie des priorités de l’institution officielle arabe. L’intellectuel est banni parce qu’il constitue un danger. La question : est-ce que le vrai intellectuel peut-il muer en criminel ? Le roman moderne est de prévoir ce qui peut arriver. Si les choses restent en l’état, l’intellectuel arabe perdra son rôle d’illuminateur de chemin. Jusqu’à quand va-t-il résister face à des courants dévastateurs? « , s’est-il interrogé.
« Je
ne suis pas un chasseur de prix »
Il
a estimé qu’il ne parle pas uniquement de la post-modernité ou
des conséquences de la globalisation. « Nous parlons d’une
prochaine étape plus dangereuse. Il y a aujourd’hui des appels
pour « numériser le monde ». La numérisation signifie
la chosification de l’humain. L’humain est sommé de se soumettre
totalement aux visions nouvelles », a-t-il prévenu.
Interrogé
sur les distinctions qu’il a obtenu pour ses œuvres, il a eu
cette réponse : « Je ne suis pas un chasseur de prix. Les prix
ne sont pas des oiseaux faciles à atteindre. Il est impossible
d’écrire un vrai texte qui s’adresse à un large lectorat en
pensant à une récompense. Si vous pensez au prix, les instruments,
qui vous permettent de créer, se bloquent. Votre pensée sera
concentrée sur le prix, l’argent qui va avec et la célébrité.
Finalement, vous aurez écrit un texte vide, sans contenu »,
a-t-il noté. Selon lui, la prix permet à l’auteur d’avoir plus
de lecteurs. « C’est ce que nous voulons en tant
qu’écrivains », a-t-il dit.
Et
d’ajouter : « par le passé nous craignons la censure
politique, aujourd’hui nous redoutons la tyrannie du lecteur. De
nos jours, le lecteur n’est plus naïf ou simple. Le lecteur
arabe a aujourd’hui toutes les capacités de juger un texte et son
auteur. En tant qu’écrivain, je prends en compte ce que me dit le
lecteur mais je n’écris pas forcément selon les demandes du
lecteur. Cela ne signifie pas que je le regarde d’en haut, d’une
tour d’ivoire ».
« Le
roman est un genre littéraire complexe »
Selon
lui, il n’y a pas un seul modèle d’écriture de roman.
« N’écoutez pas ceux qui vous donnent des conseils sur la
manière d’écrire un roman. Le roman est un genre littéraire
complexe construit sur un moment sentimental. Il n’y a pas une
seule façon d’écrire un roman ou de classer un romancier.
L’élément essentiel dans l’écriture est d’étonner le
lecteur, lui procurer du plaisir », a-t-il dit.
Jalal
Barjas a évoqué l’existence de « nouvelles voix »
dans l’écriture romanesque post-moderne dans la région arabe.
« En
Algérie, il y a un beaucoup de noms d’écrivains qui peuvent
parler du réel et le dépasser avec des outils différents sans
aller vers une rupture avec la génération des pionniers dans ce
domaine. Les rythmes ont changé et les formes des crises ont évolué.
Il est donc naturel qu’apparait une nouvelle génération
d’écrivains qui utilisent les instruments actuels », a-t-il
noté.
Il
a estimé que l’auteur ne doit pas reprendre l’écriture d’un
nouveau roman qu’après s’être débarrassés des
personnages des précédents pour ne pas se répéter. « Les
personnages ne doivent pas pas dominer leur créateur sinon
l’écriture s’arrête », a-t-il averti.
« L’auteur
ne doit pas tout expliquer dans ses romans »
Il
dit préférer parmi tous ses romans « Les serpents de feu »
(qui a obtenu le Prix Katara du roman arabe en 2015). « Chaque
roman porte une humeur, une atmosphère », a-t-il noté.
D’après
Jalal Barjas, le roman jordanien ne peut pas être séparé du roman
arabe.
« Il
y a des ressemblances culturelles. Le roman s’intéresse à toutes
les préoccupations actuelles de la région arabe. « Dafatir al
warq » a été écrite à Amman. Tous les événements s’y
déroule. Le roman a été lu partout dans le monde arabe et tout le
monde a compris que la crise arabe est partagé par tous »,
a-t-il relevé.
Il
a regretté que « lieu » ne
soit pas assez présent dans les romans arabes actuels. « Pour
moi, le lieu doit être un personnage dans chaque roman. J’évoque
le lieu selon une approche philosophique, pas géographique(…)
L’auteur ne doit pas tout expliquer dans ses romans. Il faut
laisser au lecteur la liberté d’interpréter comme il le veut »,
a-t-il dit.
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