La vie quotidienne à Rome à l'apogée de l'Empire » de Jérôme Carcopino

C'est un ouvrage un peu ancien (1939), mais il reste une référence en la matière. Il y a bien sûr beaucoup de choses que l'on sait ou que l'on croit savoir, mais, s'appuyant sur sa grande connaissance des textes latins, l'auteur nous fait toucher du doigt avec un grand réalisme la vie de cette époque. D'abord il nous explique que vivaient à Rome environs 1 200 000 personnes dont 150 000 indigents que la ville nourrissait tous les mois. Etant donné le nombre de fêtes et de divinité, il y avait quasiment deux jours fériés pour un jour travaillé. Malgré le faste de l'Empire, les conditions de vie étaient pénibles, y compris pour les plus riches. Manque de lumière, un brouhaha infernal toute la journée et même la nuit, et même l'enseignement était très mal dispensé, à quelques exceptions près :

Hérode Atticus avait procuré à son fils pour débrouiller plus vite son élève en l'amusant, s'avisa non plus seulement de lui donner un alphabet d'ivoire ou de pâtisserie, mais de faire défiler et manœuvrer sous ses yeux des esclaves dont chacun portait 24 lettres latines.

Carcopino passe en revue tout ce qui fait une vie : habitation, mariage et famille, éducation, culture et croyances, hygiène et bains, sport et distractions. Dans ce dernier chapitre, il apparaît que le théâtre fut d'abord, à l'instar des Grecs, la distraction par excellence avec des salles de plus de 10 000 spectateurs. Puis, les empereurs cédèrent progressivement à l'attrait des jeux du cirque, de plus en plus cruel, et qui rassemblaient 150 000 personnes. Mais vers la fin de l'Empire, les imperators essayèrent bien de trouver des spectacles un peu moins sanglants, ce qui fit revenir du public au théâtre, mais pas pour une bonne raison.


On se délectait des mimes de Latinus et Panniculus, des histoires d'enlèvements, de maris trompés, d'amants cachés dans un bahut providentiel, des actrices accoutumées à se dévêtir complètement (ce qui n'était permis auparavant que dans les jeux nocturnes) avec une impudeur qui fit rougir le cynique Martial. Mais surtout on préférait les mimes terrifiants pendant lequel le sang finit par couler à flot. Si le Laureolus a tenu l'affiche pendant près de deux cents ans, c'est par sa férocité et notamment celle du châtiment où, grâce à la substitution finale, autorisée par Domitien, d'un condamné de droit commun à l'acteur, le protagoniste expirait réellement dans des tortures qui n'avaient plus rien d'imaginaire, Prométhée dérisoire et pitoyable que déchiraient les clous enfoncés dans ses paumes et dans les chevilles, sur la croix, et que labouraient les crocs de l'ours de Calédonie auquel on le livrait en pâture. Cet ignoble spectacle n'a point révolté les spectateurs. Juvénal y glisse dans ses satires une allusion sans malveillance, et Martial loue le prince qui l'a rendu possible. Ainsi représenté, le mime paraissait aux Romains de ce temps atteindre à la perfection de ses moyens et de ses effets.

Evidemment, ce genre de représentation fait froid dans le dos. Et il faudra attendre le quatrième siècle de notre ère pour que cessent les combats de gladiateurs. Constantin commua en travaux forcés les condamnations à mourir dans l'arène, et les combat cessa faute de combattants.

L'auteur nous parle aussi des plantureux repas que les Romains prenaient le soir (le matin ils se contentaient d'un verre d'eau au petit-déjeuner). On se demande toujours comment on pouvait engloutir une telle quantité de viandes et de pâtisseries. Qu'on en convienne :

Sur un gril d'argent fumaient des saucisses brûlantes, des loirs saupoudrés de miel et de pavot et dessous des prunes de Damas avec des pépins de grenades. Les invités avaient encore la bouche pleine que déjà les serveurs leur présentaient la première entrée : une poule de bois sur un lit de paille d'où sortaient des œufs de paon renfermant chacun une fauvette engluée dans un jaune d'oeuf au poivre. La deuxième entrée : figues africaines, rognons, quartiers de bœufs, vulves de jeunes truies, langouste... Après quoi, les trois rôtis : une truie considérable, entourée de marcassins en croûte et fourrés de grives ; un porc énorme d'où s'écoule un flot de saucisses mêlées de boudins ; un veau bouilli. Enfin arrive le dessert, sous la forme d'une pièce montée avec gâteaux, fruits et raisins de toutes sortes.


Bref, cet aperçu de la vie romaine a tout de même quelque chose d'un peu indigeste. Et je regrette aussi que l'auteur ne parle que des familles aisées et pas beaucoup du petit peuple qui devait se débrouiller comme il pouvait.

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