Articles

Affichage des articles du mars, 2020

Un festival d'Avignon à huis clos

Image
Cette année, malheureusement, nous ne pourrons pas accueillir le public. Il serait irresponsable, en effet, de remplir nos salles d'un virus aussi indésirable. Néanmoins, the show must go one comme l'a si bien dit le président Donald Trump. C'est pourquoi nous proposons une programmation réduite certes, mais de qualité. En ce qui concerne l'affichage, il peut rester sauvage, mais il faudra regarder les affiches chacun son tour en respectant la distanciation brechtienne. Les parades seront visibles des balcons et donneront néanmoins un air de fête à la vieille cité. Les spectacles de rue sont autorisés mais devront avoir lieu dans des rues désertes. Nous n'oublierons pas le festival off et, puisqu'il n'est plus possible de recevoir un public dans une salle, nous avons récupéré les anciennes cabines téléphoniques. Aussi, profitant de cet espace que nous leur concéderons à bas prix (250 euros l'heure), les jeunes comédiens pourront s'exprim

Laura Alcoba

Image
« La casa de les conejos » (2008) de Laura Alcoba Tout est vu par le regard d'une petite fille d'à peine neuf ans. La question du simulacre est essentiel dans ce roman parce que rien dans la maison n'est vraiment ce qu'elle paraît être. Ses occupants se comportent comme s'ils étaient une famille unie : le père va au bureau travailler, la mère est maîtresse de maison et enceinte, quelques amis passent. En réalité il est question d'un groupe de militants du mouvement des Monteneros qui se servent de la maison pour mener à bien une action politique. Le commerce de l'élevage de lapins est une couverture pour cacher une imprimerie clandestine, « planquée » derrière un faux mur. La maison est une cachette. La petite fille vit donc scindée entre ce qu'elle peut et ce qu'elle ne peut pas dire, entre ce qu'elle doit faire et ce qu'elle doit éviter. Les adultes la mettent dans une situation de permanente oscillation entre la supposée normalité qu&

Atahualpa Yupenqui

Image
L'Oubliée J'ai trouvé cette chacarera * Errant dans les bancs de sable, Grâce à un garçon indigène de Barrancas Qui ne verra plus les arbrisseaux   C'est ainsi que chantait un compatriote Un compatriote de Salavina Sous un caroubier Par un après-midi de janvier   Je m'en vais, je pars maintenant Du côté de Chilca Juliana. Ah, ma mie, nul ne sait Ce qui m'attend demain   Barrancas, terre chérie Je te laisse cette chacarera Ma mie, ne trompe pas Celui qui s'en va au champ   Ma femme est partie Du côté de Chilca Juliana Elle a emporté le cheval, le sulky Le bombo* et la bonbonne   J'aimerais être un arbre Ni trop grand, ni trop petit Pour offrir un peu d'ombre Aux fatigués sur le chemin   Je m'en vais, je pars maintenant Belle terre, Salavina Peut-être que je ne reviendrai plus jamais Contempler tes salines...   Barrancas, terre chérie Je te laisse cette chacarera Ma mie,

Jorge Luis Borges

Image
En 1922, Borges est amoureux d'une jeune fille qu'il décrit dans une lettre à J. Surena : « Elle a seize ans, elle se nomme Conception Guerrero, elle souffre dans une extrême banlieue, la vie orgueilleuse et dure et monotone et timide d'une jeune fille bien et pauvre, elle est très belle, argentine, de parents andalous... (Et n'oublie pas que seize ans à Séville ou à Buenos Aires, ne sont point du tout cette chose insipide, étonnée et bouche béante qu'ils sont plus au Nord!) » Le poème qui suit montre qu'il supporte mal sa séparation (même momentanée). Absence Je devrai donc la soulever, la vaste vie qui reste aujourd'hui même ton miroir : chaque matin je devrai donc la rebâtir. Tu m'as quitté ; depuis, combien de lieux devenus inutiles et privés de sens, comme des lampes à midi. Soirs, nids de ton image, musiques où toujours tu m'attendais, paroles de ce temps passé, je devrai vous briser de mes mains. Dans qu

Adolfo Bioy Casares

Image
Mémoire sur la pampa et les gauchos. La pampa et les gauchos, culminantes manifestations de ce que nous sommes, où les surprendre ? A la campagne, certainement pas. On y trouvait la plaine, moins plate en général qu'onduleuse ; on y rencontrait également des paysans ou des criollos , des gringos et autres étrangers, des villageois, que nous méprisions, jugeant leur présence à la campagne irrémédiablement dépassée (sans réfléchir que, peut-être, pour qui vivait en permanence en ces lieux, les villageois, c'étaient nous) ; mais la pampa, telle l'eau bleue des mirages aperçus en chemin, se dérobait toujours à nous, de même que nous ne croisions jamais d'homme que le monde entier, y compris lui-même, tînt pour un gaucho. Dans la province de Buenos Aires, je n'ai connu aucune personne un peu familière de la campagne qui prononçât le vocable pampa... Les petites phrases du genre je m'en vais galoper un peu dans la pampa ne sont concevables que chez

Maria Elena Walsh

Image
María Elena Walsh, de père anglais et de mère argentine, est une poétesse, romancière et musicienne connue surtout pour ses disques et ses livres pour la jeunesse et autobiographiques. Maravillosa vida Maravillosa vida que me has dado alma tan larga y triste. Maravillosa vida que me diste la eternidad de haberme enamorado. Amo la tierra donde me pusiste con áspero cuidado, la juventud de ardor apasionado que me funde con todo lo que existe. Violenta madre mía, quiero llorar desde tu vientre mi nacimiento cada día. Dichosa desventura en todo me enardece y nada olvido. Yo soy tu agradecida criatura. Vie merveilleuse Vie merveilleuse que tu m'as donnée âme aussi grande que triste. Vie merveilleuse qui me donna l'éternité pour tomber amoureuse. J'aime la terre où tu m'as posée avec un soin sévère ; avec une jeunesse à l'ardeur passionnée j'ai pu me fondre dans tout ce qui existe. Ma mère si violente, je veux pleu

Jonathan Ruiz

Image
Jonathan Ruiz est un jeune poète mexicain. Il a étudié à la Faculté de Sciences politiques à l'UNAM et il habite Nezahualcoyotl. Plusieurs de ses textes ont déjà été traduits en français (notamment par Laurent Bouisset). Il a publié récemment un nouveau recueil : « Suicidatarios », une petite plaquette, où l'on trouve des images fortes et très inspirées sur le thème d'Eros et Thanatos. Je retiens spécialement ce poème qui parle aussi d'un certain désenchantement... L'Europe nous désole Nous avons rencontré une Europe assez froide, où les feuilles mortes s'accumulent comme des cadavres à la fin d'un banquet. Un chagrin irrépressible tourne et retourne autour des maisons, un violent cri d'oiseaux pénètre la fumée blanche des égouts, une allumette que calmement allument de leurs lèvres les étoiles ; des hommes sans patrie, qui souffrent dignement du capitalisme. L'Europe nous désole

Alejandro Bovino Maciel

Image
Alejandro Bovino Maciel est né à Corrientes, en 1956. Il est médecin-psychiatre diplômé de l'Université de Buenos Aires. Il a travaille neuf ans à Asunción, Paraguay, à côté de Augusto Roa Bastos. Il a publié une vingtaine d'ouvrages, mais il est surtout connu pour son théâtre politique. Dans « El viejo señor Sarmiento », il est question de la fin de La guerre de la Triple-Alliance qui a opposé du 1ᵉʳ mai 1865 au 1ᵉʳ mars 1870 une coalition composée de l'empire du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay, au Paraguay. Alejandro Bovino met en cause Domingo Faustino Sarmiento, président de l'Argentine de 1868 à 1874, très respecté aujourd'hui, mais dont le rôle lors de cette guerre est pour le moins discutable. Ironie du sort, Sarmiento est venu mourir au Paraguay. ETELVINA : Tu sais qui étaient ces soldats paraguayens qui résistaient encore là après tant de batailles ? Ils étaient tout au plus 500 et c'était pour la plupart des vétérans amaigris par la faim e

Eduardo Galeano dans "Crisis"

Image
Les revues littéraires ont des vies souvent interrompues en Argentine. En cause, les régimes dictatoriaux qui, par périodes, ne supportent plus la moindre opposition. Alors, il faut s'arrêter et attendre des jours meilleurs. La revue « Crisis » n'a pas échappé à la règle. Après plusieurs interruptions, elle renaît une fois de plus en octobre 1987 pour sa troisième période. Son rédacteur en chef en est José Luis Díaz Colodero, qui acheta le titre Crisis aux héritiers de Federico Vogelius. Eduardo Galeano est un de ses animateurs. Voici d'ailleurs un extrait de son article dans ce premier numéro de cette nouvelle série. Gelman et la vieille dame irascible Juan Gelman m'a raconté un jour qu'une vieille dame s'était battu à coup de parapluie, dans une rue de Paris, avec toute une brigade d'ouvriers municipaux. Les ouvriers de la ville étaient en train d'attraper des pigeons, quand elle sortit d'une Ford, modèle T, brandissant son pa

Nuestra Arma Es Nuestra Lengua

Image
'Nuestra Arma Es Nuestra Lengua'        Court-métrage (2013) AddThis Sharing Buttons Share to Facebook F   Nuestra Arma Es Nuestra Lengua   est un court-métrage d'animation conçu avec des poupées et avec un décor fait entièrement en tissu et en matériaux de récupération, réalisé avec des dessins originaux de la région du Chiapas (le titre du film appartient au sous-commandant Marcos) . Ce petit film a participé à plus de 160 festivals et a obtenu 30 prix et récompenses. Il est le fruit du travail d'un groupe de jeunes créateurs,   Martin Longo et Martina Santolo pour la production et Tian Cartier pour la réalisation. En découvrant que sa communauté a été détruite et sa femme séquestrée, Marcos partira à sa recherche s'embarquant dans une aventure extraordinaire à travers les paysages les plus divers .  NUESTRA ARMA ES NUESTRA LENGUA  "Notre projet est de présenter des œuvres qui racontent des histoires simples, mais en innovan

Un peuple de confinés avec un gouvernement de cons finis

Image
Il ne se passe pas une journée sans que des articles dénoncent la bêtise, l'amateurisme ou le cynisme de ce gouvernement. Ainsi, Frédéric Lordon, dans le Monde Diplomatique, reprend la formule de Claude Askolovitch (France Inter et Arte) et titre : « Ces connards qui nous gouvernent ». En voici un petit extrait : En réalité, une pandémie du format de celle d’aujourd’hui est le test fatal pour toute la logique du néolibéralisme. Elle met à l’arrêt ce que ce capitalisme demande de garder constamment en mouvement frénétique. Elle rappelle surtout cette évidence qu’une société étant une entité collective, elle ne fonctionne pas sans des constructions collectives — on appelle ça usuellement des services publics. La mise à mort du service public, entreprise poursuivie avec acharnement par tous les libéraux qui se sont continûment succédé au pouvoir depuis trente ans, mais portée à des degrés inouïs par la clique Macron-Buzyn-Blanquer-Pénicaud et tous leurs misérables managers, n’e

Atahualpa Yupanqui

Image
Petit chemin de l'Indien sentier colla* semé de pierres. Petit chemin de l'Indien qui unit la vallée aux étoiles. Petit chemin qui conduit du sud au nord ma vieille race; avant que sur la montagne la Pachamama* ne s'assombrisse. En chantant sur la montagne, en pleurant sur le fleuve s'accroît dans la nuit la peine de l'Indien. Le soleil et la lune et ce chant qui est le mien ont baisé tes pierres chemin de l'Indien. Dans la nuit de la montagne la quena* pleure sa nostalgie profonde et le petit chemin sait quelle est la chola* que l'Indien appelle. Sur la montagne s'élève la voix désolée de la baguala* et le chemin regrette d'être le coupable de la distance. *colla (arg) – Indien ou métis, et par extension habitant des provinces de Jujuy et Salta. *Pachamama (quechua) – La terre-mère. *quena – flûte indigène. *chola – femme indigène ou métisse. *baguala – chant

Jorge Luis Borges

Image
Bénarès en 1920 (peintre anonyme) Bénarès Fausse et drue comme un jardin calqué par un miroir, la ville imaginée que jamais n'ont vue mes yeux entretisse des distances et répète ses maisons inaccessibles. Le brusque soleil déchire une complexe obscurité de temples, de dépotoirs, de prisons, de cours. Il escaladera les murs et resplendira sur un fleuve sacrée. Haletante la ville qu'opprime un feuillage d'étoiles déborde l'horizon et dans la maison pleine de pas et de sommeil la lumière va ouvrant les rues comme des branches. Il fait jour à la fois sur toutes les persiennes qui regardent l'orient et la voix d'un muezzin attriste du haut de sa tour l'air de cette journée et annonce à la ville de tant de dieux la solitude de Dieu. (Et penser que pendant que je joue avec de douteuses images la ville que je chante persiste dans un endroit prédestiné du monde, avec sa topographie précise, popu