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Affichage des articles du janvier, 2021

Joseph Conrad vu par Jorge Luis Borges

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  Manuscrit trouvé dans un livre de Joseph Conrad D'une blancheur jouant l'invisibilité, La lumière est rayon cruel sous la persienne, Flamboiement sur la plage et fièvre sur la plaine, Du frémissant pays va s'exhalant l'été. Mais les antiques nuits sont de profondes jarres D'eau concave. Le flot s'ouvre à tous les chemins ; Et dans d'oisifs canots, face aux astres lointains, L'homme compte un temps vague aux cendres des cigares. La fumée a brouillé les constellations, La mémoire, les mots. Le monde apparaît comme Un croisement de tendres imprécisions ; Et c'est le premier fleuve et c'est le premier homme. Joseph Conrad avait décidé d'être illustre ; il savait la portée géographique réduite de sa langue natale, le polonais, et pendant quelque temps il balança entre le français et l'anglais, qu'il maniait avec une égale maîtrise. Il opta pour l'anglais, mais il écrivit avec ce soin et cette pompe occasionnelle

Mafalda vue par Umberto Eco

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  La BD est tellement célèbre en Argentine, que de nombreuses expressions populaires sont tirées des réparties ou inspirées des personnages. Ainsi les femmes superficielles, qui ne rêvent que de confort petit-bourgeois, sont-elles traitées de Susanita, l'amie de Mafalda qui espère avoir beaucoup d'enfants d'un mari riche qui mourrait jeune ! Déclinée sur grand et petit écran, Mafalda a également sa statue dans le quartier de San Telmo face à l'immeuble où résidait Quino quand il l'a créée. Umberto Eco pensait que lire Mafalda était indispensable à la compréhension de la société. Mafalda ou le refus Mafalda n'est pas seulement un nouveau personnage de bande dessinée des années 70. Si l'on a utilisé pour la définir l'adjectif de « contestataire », ce n'est pas pour s'aligner sur la mode de l'anticonformisme à tous crins. Mafalda est vraiment une héroïne « engagée » qui refuse le monde tel qu'il est. L'univers de Mafalda est cel

Alfonsina Brión

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  Alfonsina Brión (née Mayor Buratovich, 1984). Se forma dans différents ateliers littéraires. Elle a publié plusieurs recueils de poèmes : Papel Cebolla , Martes dedo , et Vista Aérea et autres poèmes , qui fut traduit en portugais. Elle travaille dans une école publique où elle est chargée des cours de langue et de littérature. Hilario Ascasubi était un poète qui est un village. La majorité des noms de militaires, maintenant sont des noms de village. Les numéros sont des noms de canaux et les points cardinaux sont des embranchements de canaux. Ce qui pendant 11 mois s'appelle anecdote devient le thème principal de sauvetage dans les réunions avec tes anciens camarades de collège. Les références spatiales sont des accents idéologiques. Ceux qui s'assoient dans un lieu précis entrent dans l'histoire. Selon Jorge le corps humain n'a pas été pensé pour qu'il soit assis. Selon Jorge les dents ne sont pas dessinées pour durer aussi longtemps que

Tenir, toujours dans l’ombre de la cicatrice en l’air (Paul Celan)

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  En attendant le confinement nouveau le peuple erre dans son ignorance des causes et des effets. Le couvre-feu n'est pas le bon couvercle. Faut essayer le couvre-chef. Et puis le couvre-lit. Le vaccin à la télé, j'en ai ma dose. Les ministres doivent parler pour ne rien dire. Macron s'est énervé : « Le premier qui parle pour dire quelque chose, il va morfler ! » Plus de morts que pendant la guerre. Comme quoi, la guerre finalement, ce n'est pas si tragique, disent les généraux. Chez le boucher, alors que je m'excusais de passer devant elle, une dame m'a dit de ne plus parler. Désormais on présentera au commerçant notre liste de commissions bien lisible. Et si le charcutier nous demande : il y a un peu plus, je laisse ? Ne répondre que d'un signe de tête. Seul devant mon écran, j'attends les consignes, ou au moins un signe du destin, ou d'un autre. Crever de faim ou mourir de la covid, telle est la question du Hamlet des banlieues. La peur d

Ariel Barchilón

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  Ariel Barchilón est né dans la province de San Juan en 1957. Il réside à Buenos Aires depuis une vingtaine d'années. Licencié en Lettres, journaliste, narrateur et dramaturge. Il a écrit de nombreuses pièces dont "Salvavidas de Plomo" (2003) et  «  Paisaje después de la batalla » (2004) Paysage après la bataille L'action se passe dans une province du littoral, durant les guerres civiles argentines 1828 – 1852 Le peintre Blanes est chargé de représenter les victoires du Général Caceres avant même que la bataille ait eu lieu. Mais cette fois, il a peint la défaite du général et sa mort. Il a essayé de fuir la colère du général en se déguisant en femme, mais il a été repris. BLANES – Permettez-moi de m'habiller en homme, Général. Vous pouvez me tuer, mais vous ne devez pas m'humilier. GENERAL – Je le ferai si vous me promettez de peindre une autre bataille de Indio Muerto. BLANES – Je vous ai déjà dit que c'était impossible. GENERAL – Silen

Olegario Victor Andrade

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  Olegario Victor  Andrade Poète argentin (Alegrete, Brésil, 1839-Buenos Aires 1882). Disciple de Victor Hugo, il donna une forme épique au sentiment national ( Prometeo , 1877). Le nid du condor (extrait) Ce poème, d'un certain souffle, fut écrit pour glorifier le « Libertador » José de San Martín, à l'occasion du retour du corps du héros, mort en France, à Boulogne sur Mer. Tout est silence tout autour ! Mais il y a quelque chose sur la roche même qui bouge et palpite comme si c'était le cœur malade de l'abîme. C'est un nid de condors, où s'accrochent leurs cous de géant que le vent des cimes balance comme une bannière qui flotte. C'est un nid de condors des Andes et dans la noirceur de ce sein on dirait que fermentent les bourrasques et qu'y dort le tonnerre. Cette masse noirâtre tressaille avec une inquiétude étrange : C'est qu'il rêve et qu'il s'agite ce vieil habitant de la montagne ! Il ne rêve pas de v

L’ombú

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  L’OMBÚ DANS LA CULTURE ARGENTINE Dans la région des Pampas en Argentine, c’est une espèce largement connue pour sa capacité à fournir de l’ombre et à servir de repère pour délimiter les territoires dans le paysage plat des Pampas. Il est facile de trouver des références à l’ombú dans le folklore du Rio de la Plata  et dans la tradition gaucho. Sa large coupe servait en effet d’ombrage aux voyageurs pendant les heures de soleil les plus intenses. Ceci lui a valu le surnom d’ami du gaucho et son respect. Dans la poésie gaucho,  une des œuvres où l’ombú joue un rôle prédominant est Santos Vega de Rafael Obligado. Conte argentin Dressé sur la plaine, orgueilleusement assis sur ses racines géantes, l'ombu étend ses opulentes branches dans la solitude. A la recherche d'un abris pour y construire sa hutte, arriva dans cet endroit un colon avec sa famille. Quel bel arbre ! s'exclama un des enfants, restons ici, papa. Séduit par l'aspect de cet arbre énorme, le père y

Peintures murales dédiées à Maradona

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  Les peintures murales qui rendent hommage à Diego Maradona apparaissent dans différents endroits du globe. En Argentine, évidemment, il y en a beaucoup dans les rues. Le souvenir du joueur considéré comme le meilleur footballeur de tous les temps est intact. Dans une note de Thomas Jones publiée dans la revue National Geographic et intitulé « Maradona, vengeur des Malouines », l'auteur raconte que lorsqu'il était enfant, en Angleterre, dans les années 80 on utilisait le nom du footballeur comme un adjectif. C'était la forme la plus haute de l'éloge et il donne comme exemple cette phrase : "oye, qué "maradona" tu patineta nueva". (Oh, ta nouvelle trottinette, quel maradona!) Jones raconte qu'il n'avait pas compris tout de suite que le mot se référait à un être humain. Après que l'équipe d'Argentine eût gagné le Mondial de football en 1986 en battant l'Angleterre 2-1, avec deux buts de Maradona, ceux qui l'admiraient

Julio Cortazar

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Instruction pour remonter une montre Là-bas au fond il y a la mort, mais n'ayez pas peur. Tenez la montre d'une main, prenez le remontoir entre deux doigts, tournez-le doucement. Alors s'ouvre un nouveau sursis, les arbres déplient leurs feuilles, les voiliers courent des régates, le temps comme un éventail s'emplit de lui-même et il en jaillit l'air, les brises de la terre, l'ombre d'une femme, le parfum du pain. Que voulez-vous de plus ? Attachez-la vite à votre poignet, laissez-la battre en liberté, imitez-la avec ardeur. La peur rouille l'ancre, toute chose qui eût pu s'accomplir et fut oubliée ronge les veines de la montre, gangrène le sang glacé de ses rubis. Et là-bas dans le fond, il y a la mort si nous ne courons pas et n'arrivons avant et ne comprenons pas que cela n'a plus d'importance.

Lunfardo

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  Barrio Once en 1920 Bien que le terme soit dérivé de lombardo (lombard) qui a aussi le sens de voleur en dialecte romain, le lunfardo n'est pas l'argot des prisons comme on l'a longtemps cru. C'est simplement, mais amplement, le langage populaire de la capitale argentine, entre argot et registre familier. Aujourd'hui utilisé en complément de l'espagnol standard, le lunfardo a longtemps été pour les poètes une manière de s'opposer au castillan pour exprimer la voix du peuple. Les paroles de tango en sont le véhicule privilégié, notamment dans les années 1920 et 1930, ce qui leur vaut d'être censurées après le coup d'Etat de 1943. Pour pouvoir être diffusés ou joués en public, les tangos devaient être expurgés ou réécrits en « bon espagnol » Carlos De La Pua (La Plata 1898-Buenos Aires 1950) est un journaliste, poète, scénariste et réalisateur, figure majeure de la bohème des années 20. Il fréquenta Borges, Roberto Artl, Carlos Gardel et le band

Diana Bellessi

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  Diana Bellessi est une poète argentine. Après des études de philosophie à l’Universidad Nacional del Litoral, elle décide de traverser le continent américain à pied entre 1969 et 1975. À son retour en Argentine, elle met en place et anime des ateliers d’écriture dans les prisons pendant deux ans, une expérience qu’elle racontera dans   Paloma de contravando . Son talent lui fait décrocher la bourse Guggenheim de poésie en 1993. Elle devient citoyenne d'honneur de Buenos Aires en 2010. .Son travail a influencé toute une génération d’écrivains argentins. Diana Bellessi participe au Salon du livre 2014 à Paris. Héritage C'est là où je vais retourner moi qui veux toujours aller ailleurs saule doré créole alors qu'on insiste si le bois ne vaut rien éparpillé dans le tumulte pour l'envoyer où on veut et regarde personne ne plante et moi qui demande une baguette pleine d'envie de faire des petits dans mon jardin inutiles comme quelques fois j'ai

Ignacio Apolo

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  NE ME REGARDE PAS AINSI de Ignacio Apolo Années 90. Trois filles de la bourgeoisie se réunissent un samedi soir. Pendant qu'elles s'apprêtent et écoutent un programme de radio pour adolescents, Bety, -la domestique- leur dit qu'elle attend son ami, Hugo, à la porte de la maison. Les trois filles décident de cacher Bety dans la maison le temps que passe son « chico » Hugo, pour se divertir à leurs dépens. On trouve dans cette pièce toute la cruauté d'une classe pour une autre plus pauvre, la xénophobie, l'agressivité physique et verbale, l'incompréhension qui sont autant de ciments occultes d'une société profondément violente. ANIMATRICE DE RADIO – Et tu n'as personne à qui parler ? CECILIA – Moi, non... ANIMATRICE – Mais ça, c'est la solitude, ma chérie. CECILIA – Oui, oui. ANIMATRICE – La solitude. CECILIA – Tu as raison. ANIMATRICE – Naturellement. Et comment tu te sens ? CECILIA – Maintenant, je me sens mal. ANIMATRICE – Tu v

Nous étions 500

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  Nous étions 500 à nous cloîtrer dans nos silences nous nous vîmes 3000 en arrivant au port du masque allons-nous jusqu'au trop loin voit-on encore le rivage les empêcheurs ont gagné les empêcheurs de tournées en ville c'est la faute aux vieux si les jeunes perdent la boule c'est la faute aux jeunes si les vieux sont emmurés c'est la faute au pangolin chinois si les ricains tombent comme des mouches c'est la faute à tout le monde fallait pas fallait pas fallait pas quoi faire – faire quoi rideaux de fer la télé aux aboies aux aboiements ministériels de virus illustribus dans le brouillard du moral dans la flétrissure du temps dans le marécage de la solitude dans le bégaiement de l'action on marche dans la boue jusqu'au bout la Terre s'accroche à nos semelles pour qu'on lui trouve une solution on distingue l'appartement-témoin du néant marié avec l'aboulie chaque pas coûte à l'Etat mais enfin coûte que

Haïti tend les bras et crie pitié

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  Gens accroupis et eau croupie un peuple se tasse s’entasse comme pour se faire pardonner d’exister. Sur le mur blanc en lettres rouges : « Haïti tend les bras et crie pitié » Des regards qui en disent long un œil qui vous défie et l’autre qui vous invite à entrer et à danser Mais entrer où ? Puisqu’on vit dehors et en dehors de tout. Le bruit des génératrices ! Il faut choisir : le silence ou la lumière. Assourdissante cité comme un gros bourdon pris dans une toile d’araignée Gens accroupis et eau croupie Les enfants des écoles ont la tête décorée de boules colorées Rien à manger, alors allons nous coiffer. Et puis les soirs d’orage les fleuves de boue détruisent les rues et l’espoir de ceux qui sont debout et qui se grandissent pour regarder l’eau d’un peu plus loin. La pluie en ville n’est d’aucune utilité surtout cette pluie jamais civilisée Le lendemain, c’est double travail L’Haïtien met la main sur les ordures Quand l’Européen ne sait où

Revue humoristique "Le Chisté"

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  La revue humoristique « Le Chisté » est parue en 1996 et n'eut que deux numéros. Dans le n°2 de décembre, il y a notamment un interview du mime Marceau. D'une façon magistrale et avec un énorme talent créateur, d'un seul geste, le populaire mime Marceau nous invita à passer dans la loge où il se maquille avant d'entrer en scène. Par respect, nous sommes entrés sans dire un mot, et il nous suggéra de nous asseoir sur des chaises imaginaires. Le photographe et moi, nous l'avons regardé très surpris. Il nous fit un geste du doigt sur la tempe pour nous faire comprendre que nous étions fous. Alors nous avons pris cette position pour nous asseoir sans chaise, mais nous fûmes bientôt pris de crampes. Par respect, nous avons attendu qu'il termine sa séance de maquillage -qui dura près de trois heures et demie- pour lui adresser la première question. Le Chisté – Bien, Marcel, vous êtes mime ou vous faites semblant ? Mime Marceau - Le Chisté – Non, je vous de