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Affichage des articles du juin, 2021

David Viñas

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  Il faudra bien un jour reconnaître l'importance de David Viñas dans la littérature d'aujourd'hui. Directeur, avec son frère Ismael, de la revue  Contorno,   qui prônait une littérature engagée, il se livre dans ses romans à une analyse critique de la société argentine contemporaine ( les Maîtres de la terre,   1958 ;  Corps à corps,   1979), soulignant le rôle prépondérant des grands propriétaires terriens, qui se sont souvent servis de l'armée pour faire triompher leurs intérêts. On lui doit aussi des pièces de théâtre et des essais ( Littérature argentine et réalité politique,   1964). Dans le deuxième numéro de « El ojo mocho » de l'hiver 1992, il répond longuement lors d'une entrevue avec trois collaborateurs de la revue. Par exemple, le cinéma me passionne, mais la dernière fois que j'ai rencontré Olivera qui est un ami, il m'a dit : « Mon pauvre vieux, le cinéma est mort. Qu'est-ce que tu veux faire ? Tu ne vas pas t'obstiner à écri

Conte argentin

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  Les béliers et le mouton Deux béliers combattaient avec fureur. Enormes et puissants tous les deux, ils ne se ménageaient pas, et leurs crânes résonnaient comme s'ils allaient tomber en miettes. Ils semblaient insensibles à la douleur et peu leur importait d'être assommé ou d'avoir la tête en sang ; ils continuaient à se jeter l'un sur l'autre. Chacun n'avait qu'un but : s'emparer du cœur d'une brebis qui les rendait fous. Et ils savaient bien qu'elle ne rendrait les armes que devant le plus valeureux, ou au moins le plus fort. Tous les moutons du troupeau s'étaient réunis et formaient un cercle, commentant le combat en connaisseurs, et surtout les autres béliers qui savaient ce que c'était que lutter. Et ils savaient aussi pourquoi : c'est la nature elle-même qui commande que de cette façon les beaux mâles se battent pour que de ce combat sortent des fils forts et brillants, et chacun faisait des vœux pour que celui-ci ou celui-l

Le livreur n'a pas d'heure (billet politique)

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  Plusieurs fois on a entendu cette réflexion dans les médias à propos du taux élevé de l'abstention lors des dernières élections : « Les gens peuvent attendre un livreur pendant une matinée et ils ne peuvent prendre cinq minutes de leur temps pour aller voter ! » Voilà qu'une fois de plus, on s'en prend à nous, les livreurs. On aimerait bien être plus précis dans nos horaires de livraison, mais il y a toujours des embouteillages, des accidents, des rues barrées pour diverses raisons. En plus, vous avez des particuliers qui se garent sans vergogne sur les espaces réservées aux livraisons. Alors je fais comment, moi ? Quand je livre un congélateur-armoire de 226 litres avec six tiroirs, garanti deux ans, au prix de 349, 90 euros, il faut évidemment que le client soit chez lui. D'abord parce que je ne peux pas le porter tout seul et en plus je ne sais fichtre pas où il faut le poser. On nous fait la réflexion que le citoyen français a plus d'égards pour son livreur

Astor Piazzolla

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  Astor Piazzolla (1921-1992) étudia le bandonéon dès l'âge de 9 ans. Il joua avec différents ensembles de tangos avant de se joindre au fameux orchestre d'Anibal Troilo. En 1944, il fonda son propre orchestre. Il commença ses études de composition avec le célèbre Alberto Ginastera, et les poursuivit ensuite à Paris avec Nadia Boulanger (1954). L'oeuvre de Piazzolla contribua à la synthèse de toutes les sortes de tangos depuis sa naissance en Argentine à la fin du 19 e  siècle jusqu'à nos jours. Né dans les quartiers populaires de Buenos-Aires et les bordels du port, le tango, musique pleine de mélancolie, fut celle des pauvres et des opprimés, associée au crime, à la drogue et à la prostitution. Cette danse, sensuelle et romantique, s'implanta à l'étranger où elle acquit sa respectabilité. De retour en Argentine, elle s'imposa, entre autres, par la voix du célèbre chanteur Carlos Gardel. Piazzolla composa des tangos pour la flûte et la guitare, instruments

Julio Cortazar

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  Histoire véridique Un monsieur laisse tomber ses lunettes qui font un bruit terrible en heurtant le pavé. Le monsieur se penche consterné parce que les verres lui ont coûté très cher, mais il découvre avec étonnement que par miracle ses lunettes sont intactes. Evidemment ce monsieur se sent plein de reconnaissance et comprend que ce qui vient de se passer est un avertissement amical, aussi court-il s'acheter un étui de cuir capitonné double protection. Une heure plus tard, il laisse à nouveau tomber son étui, par mégarde ; il se penche sans inquiétude et s'aperçoit que ses lunettes sont en miettes. Il a besoin d'un bon moment, ce monsieur, pour comprendre que les voies de la Providence sont impénétrables et qu'en réalité c'est à présent qu'a eu lieu le miracle.

Alejo Garcia Valdearena

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  Garcia Alejo Valdearena (né en 1975) est un écrivain et un auteur de bandes dessinées généralement pour enfants. Il a publié deux romans Historieta nacional et Conductores Suicidas, mais aussi des recueils de contes et des histoires pour enfants en Argentine et en Espagne. Qu'est-ce qu'on met ? Où ? Sur l'affiche, ducon. Qu'est-ce qu'on écrit ? Je ne sais pas, mais il faut bien y réfléchir pour que ce ne soit pas interprété à contre-sens. Le mieux serait que ce ne soit pas interprété du tout, mais c'est impossible, non ? Il ne faut pas que l'on puisse confondre cela avec un message politique habituel, c'est à dire qu'il faut quelque chose qui désoriente, que le type qui lira ça demain matin en allant travailler se dise : Qu'est-ce qui s'est passé ici, merde alors ? Ouais, quelle est la gare où nous venons de passer ? Banfield... Banfield... Je croyais que nous étions au moins à Gerli. Il ne faut pas no

José Pedroni

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  José Pedroni  est né dans un village de Santa Fe en 1889 et il est mort le 4 février 1968 à Mar del Plata. Il est un poète important en Argentine. Il fut le défenseur de la terre, des cultures aborigènes et de la vie. Parmi ses œuvres, on retiendra les recueils " La gota de agua ", " El nivel y su lágrima ", " Poemas y palabras " et « Lunario Santo » dont est extrait ce poème. Première lune Laissant dans ma chambre la lumière allumée je suis sorti sans m'en rendre compte. Pour mes yeux la rue poussiéreuse était nouvelle et inconnue. J'avais la bouche sèche, mais encore pleine du chatouillement d'un vin vieux et aigre. Avec une énergie tout neuve, ma longue lassitude s'étirait dans mes bras jusqu'à la nouvelle lune. L'air joyeux, sifflant dans le sentier je rencontrai mon voisin : un colporteur jovial qui, lorsqu'il était au travail, chantait en route. J'étais muet, comme un enfan

Teresita Galimany

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  Teresita Galimany est actrice, metteuse en scène, dramatique et enseignante. Elle a développé son activité théâtrale en Argentine, au Venezuela (où elle s'est exilée au moment de la dictature) et aux Etats-Unis, où elle a obtenu une bourse de la Fondation Sherover. Elle a écrit la pièce « Corriendo en la sangre » pour qu'elle soit lue lors d'une manifestation des « Abuelas de Plaza de Mayo ». Il est question d'une mère, Karina, et d'une grand-mère, Nancy, qui s'inquiète des cauchemars que fait leur petite fille. NANCY – Allons, ne dramatisons pas. Rappelle-toi ce que te disait la psychopédagogue ce matin. C'est quelque chose de passager ; j'en suis sûre. Celle qui me préoccupe le plus, c'est toi ; je te trouve très fatiguée... Tu devrais m'amener la fillette à la maison une nuit ou deux. Ainsi tu dormirais mieux ; ce qu'il te manque c'est le sommeil. KARINA – Merci, maman. Maintenant, non, je ne serais jamais tranquille et ce serai

El Ojo Mocho, revue de critique culturelle

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  El Ojo Mocho, revista de Crítica Cultural (on peut traduire El Ojo Mocho par l'oeil mutilé)   fut publiée à Buenos Aires entre l'été 1991 et le printemps 2008. Sont sortis 21 numéros en 17 livraisons (il y a eu quatre numéros doubles). Le premier numéro s'interroge : Les sciences sociales ont-elles échoué en Argentine ? Voici ce que répond Emilio de Ipola à la question de la revue : Si nous nous situons en 1984-85, il semble qu'à cette époque surgit une nouvelle alliance entre les sciences sociales et la politique. On pourrait même dire que l'on assiste à un travail en commun : le sociologue à côté du politique. C'est vrai, dans une certaine mesure les intellectuels se sont alors rendus compte qu'ils pouvaient jouer un rôle politique, et cela n'est pas mal. Avant, il y avait un préjugé selon lequel les intellectuels ne devaient s'engager dans rien de ce qui touchait au pouvoir établi, mais, vous avez raison, à partir de cette date, tout a c

Matías Carrizo

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  El Gran Vairitosky, film d'animation de Matías Carrizo (2014) Vairitosky est un artiste de cirque qui a le don de l'immortalité. Il arrive en Argentine avec le fameux Cirque de Timbouktou. Mais il semble que Vairitosky ne veuille pas entrer en scène. Le public, composé de personnes froides de la haute société, exige sa présence, coûte que coûte... sous-titres en anglais

Dans la vitrine de mes souvenirs

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  Dans la vitrine de mes souvenirs il y a des articles bon marché des trucs dont on se souvient juste pour vérifier sa mémoire il y a des objets de valeur que rien ne pourra effacer même si le prix peut varier d'une semaine à l'autre d'aujourd'hui à demain il y a quelques pièces rares que le temps a embellies des antiquités hors de prix peut-être fausses monnaies si on veut bien en convenir il n'y a pas de passé simple tout est passé composé escrocs que nous sommes sachant très bien au fond que l'or qui brille désormais dans nos têtes enflammées n'était alors qu'un vil plomb. J'ai reconstruit pierre à pierre la boutique de mes souvenirs pour pouvoir m'endormir ravi de mon autobiographie.

Ernesto de la Cárcova

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  Ernesto de la Cárcova (1866-1927) est un peintre réaliste et on sent chez lui les influences européennes. Néanmoins il se dégage de son œuvre une personnalité très proche des milieux les plus modestes. Son tableau « Sans pain et sans travail » est un chef-d’œuvre de l'art argentin. On y voit le désespoir d'une famille pauvre au chômage ce qui était la situation réelle de nombreuses familles à cette époque. Ce tableau emblématique de la culture argentine inspira beaucoup d'artistes contemporains.  Une des versions les plus étonnante de cette œuvre eut lieu en 2001. Il s'agit d'un film, réalisé par Tomás Espina où le réalisateur apparaît nu en prenant la place de la femme dans le tableau. Il fit cela pour montrer son propre malheur. Il laissa ensuite sur le sol à des images de cette projection que le public pouvait emporter. Resumen de la semana , de Evangelina Aybar (2009) Deux artistes contemporains, Mario Scalerandi y Semola Souto, ont repris ce tableau p

Julio Cortazar

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  Progrès et régression On inventa un verre qui laissait passer les mouches. La mouche s'amenait, poussait un peu de la tête et hop, elle était de l'autre côté. Joie débordante de la mouche. Dommage qu'un savant hongrois ait tout fichu par terre en découvrant un truc qui permettait à la mouche d'entrer mais pas de sortir, ou vice versa, à cause de je ne sais quelle flexibilité des fibres de ce verre qui était salement fibreux. Aussitôt on inventa l'attrape-mouches en plaçant un morceau de sucre de l'autre côté dudit verre et beaucoup de mouches moururent de désespoir. C'est ainsi que prit fin toute possibilité de fraternisation avec ces animaux dignes d'un sort meilleur.

Le Théâtre Colon

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  Dans El gran teatro , dont l'intrigue se déroule pendant une représentation du Parsifal de Wagner en 1942, Manuel Mujica Lainez décrit avec minutie et une subtile ironie la classe dirigeante : ses fastes passés et sa déréliction contemporaine, son mode de vie, sa langue et son hypocrisie. Avant de se réfugier dans le théâtre, qu'il imaginait, d'après ce qu'il avait entendu dire, comme un lieu merveilleux où la réalité quotidienne ne pénétrait pas, cette réalité lui fit ses adieux par la voix d'un vendeur de journaux, qui traversa en courant l'invisible Plaza Lavalle et cria dans le brouillard qu'Allemands et Soviétiques se battaient à l'ouest de Stalingrad. Salvador se couvrit le cou de sa main gantée, laissa échapper de sa bouche ouverte une haleine embuée qui faisait comme une autre petite brume, éternua et entra dans l'immensité accueillante du Théâtre Colon. Le vestibule et la salle l'accueillirent alors qu'un éclair interminable i

Liliana Garcia Carril

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  Liliana García Carril est née à Buenos Aires le 9 février 1951. Elle intégra l'équipe de Shakespeare por escritores , dirigée par Marcelo Cohen, et de  La Atención . Elle réactualise dans  La dura materia del pensamiento  une certaine tradition de la poésie argentine, celle qui allie l'objectivisme et la pensée, et elle y apporte une voix singulière. Dans le désert de la cuisine, l'illusion est réelle : on a une idée de la quantité on prend conscience de la durée. Dix minutes pour un œuf dur ensuite je m'assois et je ne le mange pas je le regarde on peut voir la consistance du temps. IL EST TYPIQUE d'oublier une patate au fond d'un panier inévitablement elle bourgeonne et se fendille si elle n'est pas cuite que sais-je moi de ce qui est seulement un aliment.

Leonardo Maldonado

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  Dans “Intimidad Atómica” de Leonardo Maldonado, nous sommes dans un futur plus ou moins proche et une jeune et controversée artiste fait passer une audition à des acteurs pour son prochain spectacle. Seulement elle demande que celui qui sera choisi y laisse sa vie au nom de l'amour et de l'art. LUI – Pourquoi tu me regardes ainsi ? ELLE – Je ne sais pas, tu es particulier. Tu es le seul qui ne me juge pas. Le seul qui ne me dit pas que c'est une folie. LUI – Maintenant je peux te le dire : c'est une folie. ELLE – Je le sais. Il y a deux ans que j'y pense. LUI – Et combien d'acteurs se sont présentés ? ELLE – Il n'y a que toi qui es venu. LUI – Cela me fait plaisir, ça m'enchante d'être unique. ELLE – Tu as lu les journaux hier ? LUI -  ( en souriant) Non, je suis analphabète. Ils ont dit du mal de toi? ELLE – Non, pas plus que d'habitude. LUI – Moi, j'aime beaucoup tout ce que tu fais. J'ai vu quasiment tout. ELLE – T

Revue Los Dias del Viaje

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  L'unique numéro de  Los Días del Viaje. Revista de Política y Cultura   fut publié en automne 1988, sous la direction de Lucio Schwarzberg, à Buenos Aires. Il est dans sa quasi totalité consacré à une question ouverte dans la revue   Punto de Vista  en avril 1985 sur “la generación ausente”, c'est-à-dire la génération des jeunes intellectuels de la première moitié des années 80 et formée durant la dictature militaire.   PORTRAIT D'UNE GENERATION ABSENTE Comme beaucoup de jeunes, dans ce contexte de dictature, nous pouvons nous considérer comme autodidactes. Mais il s'agit d'une nouvelle forme d'autodidacte au moment où quasiment personne n'était plus autodidacte. Nous allions à l'université, mais ce n'était pas là que nous pouvions nous former. Ce n'est pas là que nous pouvions trouver quoi lire. Nos lectures étaient extra-universitaires, désordonnées, solitaires, avec peu de possibilités d'en discuter. Heureusement il se trouvai

Légende des Indiens Nookta, de la Colombie Britannique

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  De l'apparition des moustiques Il était un chef qui avait une fille. Un jour, elle donna naissance à un petit garçon. Quatre jours après, quelqu'un mourut à l'autre extrémité du village. On ne savait pas de quoi il était mort, mais il avait un trou au flanc. Un jour passa, puis de nouveau quelqu'un mourut dans la maison voisine. La mère remarqua du sang sur les ongles de son nouveau-né : elle commença à soupçonner que c'était lui qui causait ces morts. Aussi tout en faisant semblant de dormir, elle était restée aux aguets lorsque la nuit tomba. Elle vit alors son fils sortir du panier qui était son berceau et quitter la maison. En le voyant agir ainsi, la femme ne douta plus qu'il avait tué tous les voisins. Elle voyait bien qu'il était en quête de sang, et que pour en obtenir, il faisait un trou dans le flanc des gens. La jeune femme prévint son père, le chef. Il réunit le conseil et révéla la triste vérité : -  Allons, rassemblez-vous, guerriers ! Vo