Sale temps pour les statues
Sale temps pour les
statues
Le 18 décembre 2009, la
dernière statue équestre du général Franco encore installée sur
un espace municipal espagnol a été retirée d'une place de
Santander. En revanche, le juge Baltasar Garzon a abandonné son
enquête sur les atrocités commises par le régime franquiste
pendant la guerre civile espagnole de 1936 à 1939 et après sa
victoire, tout en renvoyant le dossier vers les juridictions locales.
Enlever une statue ne dérange qu'un grutier; mener une enquête
dérange davantage.
En ce moment, les statues
passent un sale moment de déconfinement. Même De Gaulle en a pris
pour son grade de général à Pavillons-sous-Bois en
Seine-Saint-Denis. Alors que les gens craignent pour leurs statuts
ils s'en prennent aux statues. Il y a toujours un coin sombre dans la
vie grandiose des grands hommes malheureusement. Parfois il ne s'agit
que d'un simple barbouillage, comme si le héros avait reçu une
tarte à la crème de l'entarteur Noël Godin. Mais quand la foule
est très fâchée, on attache des câbles, de grosses cordes et on
tire tous ensemble : le monument est jeté à terre dans un
bruit de casseroles qui fait saliver quelques ferrailleurs. De temps
en temps, on fait les choses réglementairement, comme ce fut le cas
pour Franco. Cet homme-là, dites donc, il serait temps de le
déloger ; il fait peur aux touristes. Alors la décision
gouvernementale tombe et on prend le temps de cisailler proprement
la base de la statue avec des fers à désouder. Une grue vient
élégamment soulever dans les airs le mastodonte rodomonte que ses
derniers admirateurs peuvent encore applaudir quelques instants et le
déposer dans un camion qui le conduira discrètement dans un musée
qui l'hébergera dans sa cave si la hauteur de plafond le permet.
Logiquement on devrait
voir de moins en moins de statues équestres, et on n'imagine pas une
personnalité représentée dans son automobile. Une statue de
J.F.Kennedy dans sa dernière voiture à Dallas serait d'un assez
mauvais goût.
Il faut aussi souligner
que ces actions sont préjudiciables à l'art statuaire. Car enfin,
dans ces moments-là on oublie complètement qu'il a fallu des heures
de travail à un sculpteur pour arriver à trouver le ton juste et le
cheval vraisemblable. Ces artistes sont bien plus mal lotis que les
peintres ou les musiciens. On ne va pas brûler le portrait que
Picasso a fait de Staline, ni la symphonie n°3 que Beethoven a
dédiée à Napoléon Bonaparte (reconnaissons qu'il l'a lui-même
débaptisée). Je serais sculpteur en ce moment, je réfléchirais à
faire du non-figuratif, c'est moins risqué.
Mais pour revenir à
Franco, je pense qu'on aurait pu enlever le dictateur et laisser le
cheval qui n'a aucune responsabilité dans les crimes de son
cavalier. Voilà une proposition de loi qui devrait être déposée à
l'Assemblée Nationale : désormais sur les statues équestres
les gloires du pays devront être détachables de manière à
ce qu'on puisse les enlever sans nuire à l'intégrité physique du
cheval. Il y aurait ainsi, au centre de chaque ville, une statue de
cheval sans cavalier. Le cheval vivant est désormais chassé des
villes. Qu'on permette au moins aux enfants des écoles de savoir à
quoi ressemble ce quadrupède que les hommes ont tellement utilisé
et exploité.
Excellente idée! Et on pourrait déposer sur ces montures esseulées, de manière itinérante et temporaire, au gré des circonstances et des humeurs, des cavaliers plus "rafraichissants" tels Zorro, Sitting Bull, Lucky Luke ou Bartabas...
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