Accident de quête



Quand j'étais enfant, il y avait deux corvées pour le seul dimanche matin. Il n'y avait pas à discuter : la messe à 9 heures et le tennis à 10 heures. Par la suite, enfin libéré de ces obligations, si je n'ai jamais remis les pieds dans une église, j'ai apprécié le maniement de la raquette. Mais, à l'époque, peut-être parce que cet exercice m'était imposé, je priais Dieu à la messe de 9 heures pour qu'il nous dispense du tennis de 10 heures par une bonne pluie.

Certains dimanches un peu plus dimanches que d'autres, il fallait même aller communier. Mais pour cela, il fallait s'être confessé la veille et surtout n'avoir rien avalé de solide au petit-déjeuner. Le petit Jésus pouvait tomber sur du liquide, mais jamais sur du solide. Il y a des règles quand même. Le seul souvenir que j'ai de ces matins glauques, c'est le froid qui régnait pendant l'office. J'avais l'impression que des murs décorés des sempiternelles stations du chemin de croix suintait une humidité permanente, triste et sale. Dans un coin, un vieux confessionnal vide grinçait, peut-être à cause du poids des péchés entendus toute la semaine. Le sermon revenait toujours à la même rengaine : l'homme est trop orgueilleux et ça ne plaît pas du tout à Jésus. Il faut qu'il rampe, qu'il s'humilie, qu'il ne soit que poussière, qu'il baisse la tête, qu'il batte sa coulpe, qu'il se frappe la poitrine, qu'il s'écrase comme une grosse m..... En tout cas, c'est ce qu'il fallait comprendre. Et d'ailleurs tout le monde baissait la tête, et les femmes en plus devaient se couvrir : fichu, chapeau, voilette, foulard. Tout était bon pourvu que leurs cheveux ne soient pas en contact direct avec Dieu. On supposait que Dieu était chatouilleux.

Avant d'entrer dans l'église, ma mère nous donnait, à mon frère et à moi, quelques pièces de monnaie à glisser dans nos poches pour la quête qui avait lieu juste après le sermon. Déjà à l'époque, on manquait de personnel : plus de bedeau pour assurer cette quête. Le prêtre confiait donc à un paroissien ou une paroissienne le petit panier qu'il fallait faire circuler dans les travées. Ma mère, un jour, fut mise à contribution. Elle avait commencé par refuser, tellement peu disposée à se faire remarquer, comme elle disait, mais devant l'insistance du curé, il avait bien fallu s'exécuter. Finalement, elle s'en était assez bien tiré, faisant le même sourire commercial qu'elle arborait dans sa bijouterie, à chaque fois qu'une pièce tombait dans l'escarcelle. Mais le drame se produisit quand elle rapporta le panier au prêtre qui lui demanda si elle avait mis son obole. Toute rouge, ma mère fouilla dans son sac pour trouver un billet qu'elle jeta au milieu des pièces qui cliquetaient de peur devant tant de rage.

Le retour à la maison fut orageux. On en oublia d'acheter les pâtisseries hebdomadaires à la boulangerie en face. Ma mère ne décolérait pas :

  • « Mais il est idiot ce curé ou quoi ?! Me dire cela devant tout le monde ! Me faire remarquer que je n'avais rien mis dans sa corbeille. Comme si j'avais profité de quêter pour ne rien donner ! Et toi, tu ne dis rien, comme d'habitude ! » disait-elle à mon père qui préparait sa tenue de tennis.

Toujours est-il que le dimanche suivant ainsi que les autres dimanches qui venaient, ma mère exhibait à la messe un bandage, qui indiquait bien que la gravité de la blessure ne lui permettrait plus de faire la quête pour un temps illimité.

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