En revenant de Roumanie (et de République Moldave)



Revenir, revenir... Dix ans après... L'impression que la ville de Iași jouait à cache-cache avec moi. Des rues que je reconnaissais au premier regard et qui semblaient avoir gardé fidèlement le même aspect pour que je puisse avoir le sentiment que tout y était préservé pour moi et mes souvenirs.

Et juste à côté des endroits où je me retrouvais dans une ville étrangère jamais visitée. Rien d'hostile, mais une indifférence totale et des oiseaux qui chantent le refrain de Pierre Vassiliu :

Qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a, qui c'est celui-là ?
Complètement toqué, ce mec-là, complètement gaga
Il a une drôle de tête ce type-là
Qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a ?

Et puis, tout de même, une ville qui attire des milliers de spectateurs pour un festival de Littérature et de Traduction, au point que le Théâtre National était plein pour une simple conversation avec un écrivain islandais (Jonathan Franzen), cela mérite le respect. Des nuits blanches de la poésie, des marathons de lecture... Je ne sais pas où l'on peut trouver cela ailleurs dans le monde.

Je croise Lucian Vasiliu, qui m'embrasse, tandis qu'Emil Brumaru s'énerve contre moi, parce qu'il n'est pas content de celui qui vient de l'interviewer (mais qu'est-ce que j'y peux?)

Les voûtes froides du Bolta Rece se réchauffent si facilement avec quelques musiciens excellents et le premier verre de țuică, et ce restaurant, le plus ancien de la ville, marque son territoire : ici sont passés tous les grands noms de la littérature roumaine.

On parle français à Iași aujourd'hui, enfin on reparle français. Înarmat până în dinți comme on dit en roumain, parce qu'en fait on apprend le français par les dents : ce sont les étudiants français en étude dentaire qui forment le gros du bataillon de la présence francophone à Iasi.

Retrouver aussi la douce quiétude du Centre Culturel Français, devenu par un tour de passe-passe Institut (ou plutôt antenne moldave de l'Institut Français de Bucarest). La chaleur de ceux y travaillaient et qui y travaillent encore, de directeur en directeur, de propriétaire en propriétaire...

Et puis ce théâtre ! Comment ne pas succomber lorsque voit ne serait-ce que la statue de Vasile Alecsandri, figure de proue de ce magnifique navire ? Oui, on peut parler d'un navire ; il nous a tant de fois transportés dans des mondes intemporels. Rien que d'entrer dans la grande salle, c'est un cadeau des dieux et cela depuis des lustres (même s'il n'y a qu'un, immense).

Seulement il faut déjà repartir. Oh, juste à côté. De la Moldavie, on passe en République Moldave. On est toujours en Europe, mais on n'est plus dans la Communauté Européenne. Il y a quelques différences notables (on entend parler russe par exemple), mais c'est malgré tout un même esprit qui veille sur nous. Et notre auteur, Dumitru Crudu, est là aussi qui veille. Toujours souriant, effacé, avec un œil qui brille, il voyage avec nous, comme nous avons voyagé avec son texte si beau et si actuel. Le soir, après la représentation, il me dit que deux metteurs en scène (dont un de Londres) lui ont demandé les droits pour la pièce. Il est heureux et son sourire éclaire le visage longiligne de Mihai Fusu qui se joint à nous. Que de souvenirs nous assaillent alors...

La passion du théâtre dans ce festival est telle que notre pièce jouée en français passe parfaitement la rampe. La France fait maintenant des économies sur la francophonie. Cela me fait penser à ce paysan qui donnait tous les jours un peu moins à manger à son âne jusqu'à ne plus le nourrir du tout. L'âne meurt et le paysan de s'exclamer : « Dommage ! Juste au moment où il commençait à s'habituer... »

Il est déjà temps de rentrer en Roumanie, puis de quitter Iași, assiégé par les pèlerins qui digèrent mal un referendum raté qui couvre l'Eglise et ses complices de ridicule et de honte. Pourtant ils devraient le savoir : Vrei, nu vrei, bea Grigore agheazma.
 
avec Dumitru Crudu et Mihai Fusu

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