Esther Cross




Esther Cross est née à Buenos Aires en 1961. Elle a fait des études de lettres et de psychologie avant de se consacrer pleinement à l'écriture. Elle a publié plusieurs romans pour lesquels elle a reçu des bourses et des prix.


Le cadeau

L'homme déposa la poupée sur le socle brillant de l'arbre de Noël, dépourvu de racines. La tête ronde dépassait de la déchirure du paquet en mauvais état. Il le laissa là, au milieu des cadeaux, et partagea avec nous le repas, l'ennui et les commentaires traditionnels de mes grands-mères, de mes oncles et tantes.
  • Pas tant.
  • Un peu de champagne pour y tremper mes lèvres.
  • Cette galette a l'air d'une éponge.
  • Les filles devraient aller à la messe de minuit.
  • Mes cadeaux sont modestes.
  • Je n'ai pas voulu détonner...
Des commentaires fréquents dans la majeure partie des familles, indistinctement bienveillants ou malicieux. Remarques cruelles, dards linguistiques. Heureusement, l'homme saluait chaque phrase, car pour lui, qui n'avait pas de famille, elles étaient inhabituelles et nous découvrîmes, flattés, qu'elles pouvaient surprendre.
Nous nous efforçâmes donc -j'ignore si c'était pour lui faire plaisir- chacun à son tour de tenir notre rôle, marqué par l'inévitable folie de Noël.
Sous l'arbre clignotant comme des feux de circulations, la poupée en caoutchouc était la cible de ma convoitise, et celle de ma sœur bien entendu. (...)
Après le toast de rigueur, la guerre éclata. Adroite, ma sœur s'accrochait à la poupée. De l'autre côté, moi, invincible, qui résistais. Les articulations en fil de fer du cou craquaient. Les bras s'étiraient formidablement.
  • Très bien, on va la couper en deux, fit alors mon père, avec un courage à la Salomon digne de louanges.
Sans se cacher, il fit un clin d’œil à ma grand-mère et, pour la seule fois cette nuit-là, il se produisit un silence unanime, dans l'expectative.
Mais depuis Salomon, les choses ont changé. Ma sœur et moi, enfin d'accord sur un point, acceptâmes.
  • Bien sûr, il faut la partager.

(traduction de Marianne Millon)

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Jorge Ricci

Hororo