Taha Hussein

 


Un extraordinaire dépaysement de la pensée, c'est ce que j'éprouve d'abord en lisant le Livre des jours. Il s'y ajoute une autre étrangeté : c'est l'oeuvre d'un aveugle, et, d'un bout à l'autre de son récit, l'auteur ne nous le laissera pas oublier. Il nous peint ce monde qu'il ne peut voir, et dont il ne prendra connaissance que par les multiples petites blessures qu'il en reçoit.

André Gide


Mais voici qu'on cognait violemment à la porte et que des vociférations tumultueuses la transperçaient : « Allons, vous autres, allons, fainéants, éveillez-vous, jusqu'à quand allez-vous dormir ? J'invoque Dieu contre votre impiété, contre vos égarements. C'est du propre ! Vous ne savez pas que la prière vaut mieux que le sommeil ! » Et le braillard flanquait des coups de poing dans la porte, faisait résonner le plancher de son bâton, tandis que des rires fusaient autour de lui. Au premier appel, le jeune cheik s'était éveillé, mais c'était tenu coi, se bornant à rire en sourdine, comme si cette algarade l'amusait et qu'il eût voulu la voir se continuer plus violente. L'enfant avait reconnu la voix et le gourdin : c'étaient les coupables qui, en pleine nuit, le troublaient si fort et semblaient s'être donné pour but de l'arracher de son sommeil. Qui pouvait bien être cet homme ? Et ce gourdin ? Et cet accompagnement de bruyante gaieté ? Le jeune homme s'était levé, dans un éclat de rire, et allait ouvrir la porte, qui livrait passage à cet individu : « Etes-vous des hommes ou des animaux, des musulmans ou des mécréants ? »

C'était un vieillard de soixante-dix ans bien sonnés, qui avait conservé toute sa verdeur. Il avait gardé aussi une bonne dose de roublardise et d'habile finesse. Sa vigueur physique se manifestait par une carrure trapue, une agilité robuste, une solide charpente, une pétulance de gestes et une exubérance de langage, qui ne connaissaient pas de trêve...


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