Jours tranquilles à Tripoli

 

Maryline Dumas et Mathieu Galtier sont deux journalistes français qui ont vécu à Tripoli de juin 2012 à juin 2015. Aujourd’hui basés à Tunis, ils se rendent encore régulièrement en Libye. Maryline Dumas collabore avec Le FigaroAfrique Magazine, la Tribune de Genève et des journaux locaux français. Mathieu Galtier signe notamment dans Libération, le Magazine de l’AfriqueAssociated Reporters Abroad et Middle East Eye.



Les combattants toubous ne sont pas seuls dans la chambre d’hôpital. D’autres patients, qui n’ont rien à voir avec l’affrontement, sont là. Des infirmières vaquent à leurs tâches. Personne ne trouve rien à redire à ma présence.

Mon interlocuteur aborde les discriminations dont il se dit victime à Koufra (insultes dans la rue – la couleur noire de la peau des Toubous est l’objet de toutes les violences verbales possibles –, difficultés d’accès au travail, d’ouvrir un compte bancaire, etc.), lorsqu’un homme portant une kalachnikov fait irruption. Il demande ce que je fais là. Je réponds en montrant ma carte de presse émanant du ministère de l’Information. Peu convaincu, il me fait monter dans son 4x4. Pas vraiment le choix. Le trajet est très court. Nous nous garons dans une cour où stationnent plusieurs pick-up surmontés de mitrailleuses. L’angoisse monte un peu. Dans le bâtiment, le ton est, lui, très léger : « Que veux-tu boire ? Prends un gâteau. »

Le chef arrive, béret de cuir sur la tête, il est petit et trapu, la barbe en broussaille. Abdul Ghani Al-Kikli, plus connu sous le nom de « Ghaniwa », me fait la leçon : comment ai-je pu me permettre d’entrer dans l’hôpital sans autorisation spéciale ? J’argue que j’ai ma carte de presse sans trop de véhémence car je sais qu’il a raison sur le fond : l’hôpital n’est pas censé être ouvert à tous les vents. Je prépare mes excuses, m’attendant à une sévère remise en place. Sans mot dire, le maître des lieux gribouille une note sur un post-it rose puis s’adresse à un de ses hommes qui décampe pour revenir armé d’un tampon. L’homme au béret tamponne le post-it et me le tend, un grand sourire aux lèvres et dans un anglais appliqué : « Voici le laissez-passer, la prochaine fois viens directement ici. Mes hommes t’aideront. »

Ghaniwa, boucher de profession, accusé par ses détracteurs de tremper dans le trafic de drogues et chef de l’une des plus importantes brigades de la capitale, vient de me donner ma première grande leçon d’art de vivre libyen : toujours se référer à la milice du lieu où l’on se trouve. Son tampon, même sur post-it rose, vaut toutes les accréditations officielles.

Mathieu, Tripoli, 16 juin 2012




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