Ali Douagi


 Né le 4 janvier 1909 à Tunis et décédé le 27 mai 1949 à Tunis, Ali Douagi est un nouvelliste et homme de théâtre tunisien d'expression arabe. Il est aussi surnommé le « Marginal tunisien ».

Connu pour ses satires, il est l'une des figures emblématiques de la bohème et du spleen des intellectuels du groupe Taht Essour.

Douagi a été publié dans plusieurs mensuels et hebdomadaires des années 1930 et 1940. Ses écrits sont caractérisés par un réalisme souvent caricatural qui rend compte des mœurs et travers de la société tunisienne de son époque. 

Douagi meurt de la tuberculose à l'âge de quarante ans.


Le docteur prit le temps d'essuyer ses lunettes, d'allumer une cigarette avant de commencer sont récit :

- « J'avais, il y a des années, soigné au dispensaire une femme atteinte d'une certaine maladie secrète et maligne qui exigeait plusieurs mois de piqûres. Elle était d'une grande beauté, si ce n'était que le mal avait gâché sa lèvre inférieure. Elle était... comment vous la décrire... très libre... Vous avez certainement compris : elle était de mœurs légères.

Progressivement, elle s'acheminait vers la guérison et toutes les manifestations de son mal insolent disparurent. Un jour elle revint me remercier de ce que je faisais pour elle et elle m'offrit un fume-cigarette en nacre incrusté d'argent. Je lui dis que j'aimerais tout de même connaître le secret de sa vie. Elle se mit à pleurer et, sur mon insistance, elle dit : « Jeune fille, je n'avais aucune idée de cette vie. Et si dans mon sommeil j'en avais rêvé, j'aurais été épouvantée. J'ai été, en effet, élevée dans une famille conservatrice. Mon père était de la vieille génération : très jaloux, très respectueux des traditions, très austère, homme de bien, très pieux, exagérément même, comme en toute chose. Il ne nous laissait pas sortir de la maison, même pour aller au hammam ou pour rendre visite à un parent. A part cela, i ne nous privait de rien en fait de nourriture, de vêtement, de parures, sans oublier les bouquets de jasmin, le henné et la résine à mastiquer. Je ne sais aujourd'hui si je cois rire ou pleurer de ma vie d'alors. J'avais dépassé dix-sept ans et j'ignorais tout des hommes.

Nous habitions une vieille maison à un seul étage, mais il y avait une pièce sous les toits dont l'accès nous était totalement défendu. Cette interdiction aiguisait notre curiosité et nous laissait toute liberté d'imaginer les secrets et les trésors de cette chambre maudite. Mais dès que nous approchions des escaliers qui y menaient, la crainte de la punition nous dissuadait d'aller plus loin.

Pourtant un jour d'été, à l'heure de la sieste, alors que mon père était en voyage et que ma mère dormait dans sa chambre, nous eûmes, ma sœur et moi, le courage de désobéir et de monter. Ma sœur fit le guêt et j'ouvris enfin la porte. Je me trouvai dans une petite pièce aux murs couvert de toiles d'araignées et de poussière. Lorsque mes yeux se furent habitués à l'obscurité et mes poumons à l'air lourd, j'aperçus une petite lucarne sans barreaux, juste pour donner une peu de lumière... et pour mon malheur à moi.

La première chose que je fis, fut évidemment d'explorer un monde que les murs épais ne cachaient plus à mes yeux.

Et je vis !

La maison voisine servait de commerce « clandestin ». Mais je ne le compris qu'après. Sur un lit, un jeune homme et une jeune fille assis devant une table basse où se trouvaient des bouteilles, des verres, une tranche de melon et des glaçons. Au bout d'une demi-heure, qui fut pour moi une éternité j'appris tout. J'y revins si souvent que ma mère finit par s'en apercevoir et elle me frappa. Mon père aussi, et il me corrigea durement. Si bien qu'une nuit, enfin, je me mis un châle sur la tête et je me rendis à la maison voisine...


Extrait des Nuits Blanches

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