Attention, voilà le bus.

Bon d'accord, ils avaient conquis la Toison d'Or et ajouté une étoile dans le ciel de leurs tricots. Alors il fallait bien les féliciter. Certains ont dit les remercier, mais je ne vois pas de quoi. D'ailleurs il s'agit de remerciements perpétuels dans tous les sens. Les joueurs aussi remercient leurs supporters, probablement d'avoir sifflé et insulté leurs adversaires.

Bon d'accord, je comprends qu'on soit des milliers ensemble à voir un match ; ça met de l'ambiance. Un match au moins, il y a une incertitude, un enjeu, des phases, des combinaisons, des moments de pure magie, parfois.

Mais qu'il y ait 400 000 personnes pour voir passer un bus... Des gens qui sont venus sous un soleil écrasant depuis le matin à attendre le passage d'un véhicule de transport en commun qui ne passera que le soir. Un autobus à impériale, tout de même. Les héros jetaient des brindilles de leurs trophées au bas-peuple tout en bas qui se battait quelque peu pour récupérer les précieuses reliques. Au Tour de France, la caravane publicitaire passe aussi et jette indifféremment des casquettes, des bonbons, des tranches de saucissons, des lunettes de soleil, des préservatifs. Sommes-nous dans la civilisation de l'aumône récréative ?

Toute la question qui a agité la presse le lendemain était celle-ci : le bus est-il passé trop vite ? Pour quelqu'un qui attendu huit à dix heures debout, le voir passer pendant 48 secondes, c'est vrai que c'est frustrant. (C'est d'ailleurs le même reproche qu'on a fait à Jésus Christ pour sa résurrection ; cela s'est produit si vite que personne n'a rien vu alors qu'on attendait ça depuis des siècles à force d'annonces de prophètes.) Certains éditorialistes ont calculé quelle aurait été la bonne vitesse pour ce véhicule, mais ils ne sont pas tous d'accord sur le résultat.

Toujours est-il qu'une population qui est capable de ce degrés de passivité inquiète. Si encore il y avait eu une course de bus, mais que nenni, il n'y avait qu'un seul bus sur la ligne de départ. (Et voilà qu'on se repose la question : pourquoi est-il allé si vite alors qu'il était sûr de gagner ?) Bien sûr on peut toujours espérer une panne, mais on imagine bien que l'engin était neuf et révisé par des experts. On nous explique aussi qu'il est passé trop vite parce qu'il y a vingt ans il était passé trop lentement. Dans vingt ans, on fera une moyenne, c'est promis.

Dans mon village, il y a fort longtemps, les vieux sortaient une chaise de leur maison et s'asseyaient sur le bord de la route pour voir passer les voitures. Certes, mais le manque de distractions dans un village français en 1950 est sans comparaison avec ce que propose Paris en 2018. Non, il ne faut pas retourner à 1950, mais beaucoup plus loin dans le temps pour voir des foules s'enticher de fétiches, d'un saint suaire ou d'ossements garantis 100% saint doux.

De même qu'aujourd'hui, il y avait d'immenses processions où s'agitaient des drapeaux appelés oriflammes et de sages calculs pour déterminer la vitesse du Saint-Sacrement. Des chants s'élevaient dans la grandeur du moment et les reliques s'échangeaient sous le contrôle des évêques qui prenaient leur pourcentage. Il y eut quelques abus ; ainsi on dénombre plus de 450 clous de la croix du Christ, ce qui en ferait plus un fakir qu'un crucifié.

Mais aujourd'hui aussi le retour de nos divinités se fait sous le contrôle des autorités. Ainsi le maillot des bleus avec les deux étoiles, fabriqué en Thaïlande, au coût de deux euros, sera facturé aux amateurs à 140 euros. Même les évêques à l'époque n'aurait osé une telle culbute.

 

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