Les pruneaux

Les acteurs français ont maintenant une façon unique de jouer. Alors le scénariste prévoit une scène qui permet au grand acteur ou à la grande actrice de faire son numéro. En général, c'est très simple. Il faut juste créer un décalage entre la situation et la réaction du personnage. Par exemple : fin d'un repas, une coupe de fruits au sirop. Le personnage masculin (mais ça marche aussi bien avec le personnage féminin) mange un pruneau et manque de se casser une dent avec le noyau.
LUI – (dans tous ses états) C'est quoi, ça !!!
ELLE – C'est un noyau.
LUI – Il y a des noyaux dans la salade de fruits ! Non, mais j'hallucine !
ELLE – Dans les pruneaux, oui, il y a un noyau.
LUI – Mais putain de merde, on prévient dans ce cas-là.
ELLE – On laisse le noyau dans le pruneau, parce que ça donne plus de goût ; j'ai lu ça.
LUI – Ah ouais, plus de goût, c'est vrai, parce que maintenant j'ai le goût du sang dans la gueule !
ELLE – Enfin, ce n'est pas...
LUI – Ce n'est pas quoi ? Précise. Là, tu vas m'intéresser.
ELLE – Je veux dire que ce n'est pas si grave.
LUI – Je l'attendais celle-là. Le « pas si grave ». Enfin, bordel de merde, on a une salade de fruits. Dans les abricots, est-ce qu'il y avait des noyaux ? Je te pose une question, Armelle.
ELLE – Non, je les ai dénoyautés.
LUI – Dans les pêches, est-ce qu'il y avait des noyaux ?
ELLE – Non, je les ai enlevés, tu as bien vu.
LUI – Et dans les prunes non plus, il n'y avait pas de noyaux. Alors comment je pouvais savoir qu'il y aurait des noyaux dans les pruneaux ? COMMENT?
ELLE – Parce qu'on laisse toujours les noyaux dans les pruneaux.
LUI – Moi, je n'ai pas les mêmes lectures que toi, et moi, je ne pouvais pas savoir. Et ce qui me fout en l'air, vois-tu, c'est que toi, tu savais très bien que je ne pouvais pas savoir.
(etc etc à l'infini)
Là, nous avons déjà la séquence culte du film français d'aujourd'hui. Celle qu'on passe pour donner envie d'y aller. Avec les questions des journalistes spécialisés (pas en pruneaux, en cinéma) :
 
JOURNALISTE – Alors là, la scène du pruneau, c'est vraiment une autre dimension, exceptionnel ! Mais comment avez-vous fait pour nous offrir ce régal  ?
REALISATEUR– Vous savez, c'est un métier... pas toujours facile... Mais là, c'est vrai, on touche à subtilité même de l'âme humaine, toujours prise entre le grandiose et l'infiniment petit.
Et dans Télérama, on trouvera la critique suivante :
Ce film n'est pas tout à fait réussi, il lui manque peut-être cette profondeur dont le réalisateur s'était beaucoup approché lors de son premier long métrage. Là, il s'en éloigne un peu. Néanmoins, il a réuni une telle équipe d'acteurs qui se font plaisir et qui font plaisir à voir. Reste aussi et surtout cette scène d'anthologie, dont nous ne dirons rien, car à elle seule elle vaut le déplacement dans un cinéma ce week-end : les pruneaux, qui est jouée avec une précision d'horloger.

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