Griselda Gambaro


Née à Buenos Aires en 1928. Est auteure d’une dizaine de romans – dont 3 publiés en France – et d’une vingtaine de pièces de théâtre, toutes créées, et bon nombre dans leur traduction aux USA, au Danemark, en Angleterre, Italie, Allemagne, Pologne, Suisse, France… Des ouvrages sont consacrés à son théâtre, elle est invitée à des symposiums sur l’ensemble de son œuvre au Darmount College, New Hampshire, des Universités…
En Argentine, durant les années de répression, d’abord avec la dictature de Juan Carlos Onganía (1966) puis avec celle de Rafael Videla (1976), le théâtre est un espace qui sert d’exutoire. Il est aussi un moyen d’expression qui met en scène les mœurs et les comportements humains. Ce travail propose de montrer que le théâtre de Griselda Gambaro met à la fois l’accent sur les dangers de l’arbitraire exercé par un pouvoir tyrannique et sur le rôle de l’art théâtral comme représentation esthétique de la mémoire.
Dans la pièce Atando cabos (1991)
Ils sont tous les deux dans un canot de sauvetage après un naufrage.

ELISA – Ah ! Rationner les aliments. A la guerre comme à la guerre. Et c'est vous qui allez vous en charger. (elle se met à rire)
MARTÍN – Qu'y a-t-il de drôle ? Vous n'avez pas peur. Moi, je suis comme le rat devant le lion. J'ai peur. Pas trop, mais...
ELISA – Le lion, ou la lionne. Les femmes, nous faisons semblant avec une certaine efficacité. Jusqu'au dernier moment. Ma fille a dû avoir peur.
MARTÍN – Votre fille ? Pourquoi ?
ELISA- Elle est tombée à l'eau.
MARTÍN – Elle s'est noyée ?
ELISA – Elle s'est noyée.
MARTÍN – Désolé.
ELISA – C'était il y a longtemps. Et le temps guérit de tout. Enfin, c'est ce qu'on dit. Moi, il me semble que c'était hier qu'elle est tombé à l'eau. Pas même dans l'océan. Dans le fleuve. Et par dans n'importe quel fleuve, le plus large du monde. Y
MARTÍN – Comment ça ? Et puis, peu importe.
ELISA – Depuis un hélicoptère. Ce n'était même pas d'un avion. C'est comme ça dans un pays sous-développé. Pas dans la mer, ou dans l'océan, mais dans le fleuve. Une époque dorée, mais aujourd'hui le sable est sale. Un hélicoptère démodé certainement, une ferraille qu'on nous avait vendu comme neuve. Mais qui volait encore et servait pour des vols de nuit. La nuit obscure de l'âme. Vous imaginez un peu ? Les prisonniers jetés dans le vide, déjà à moitié morts, pour finir de mourir. Quelle sale façon de mourir, n'est-ce pas ?
MARTÍN - (Froidement) Moi, je dirai propre au contraire. Plus propre qu'un enterrement. Quasiment plus pratique. Exécution et sépulture en même temps.
ELISA – Vous semblez être bien au courant de tout cela.
MARTÍN – Non, moi, je suis juste des pistes.Solamente ato cabos.
ELISA – Moi aussi.
MARTÍN – Pourquoi serrez-vous les jambes ? Je ne vais pas vous toucher.
ELISA – Sans doute pour me protéger.
MARTIN – Vous me plaisez. Qui croyez-vous que je sois ?
ELISA – Un être humain. Ca peut être tellement de chose un être humain...
Une pauvre petite qui voulait changer le monde.
MARTIN - Qui a jeté votre fille dans la rivière ? Ce n’est pas moi. Celui qui a été jeté dans la mer ou dans la rivière c’est qu’il l’a bien cherché. Taisez-vous J’en ai marre d’entendre parler de votre fille ! Un petit malheur ou une fatalité ne font pas trembler le monde. Cela n’agite même pas un brin d’herbe.
ELISA - Ne me touchez pas ! Ne me coupez pas ! Si vous m’interrompez à chaque instant je continuerai encore et toujours à le raconter. L’herbe tremble, elle s’angoisse… Je ferai quelque chose pour que jamais vous ne cessiez de me voir. Ne pouvoir compter  sur ma résignation sera votre échec, et votre naufrage sera de ne pouvoir jamais effacer ma mémoire.
https://www.youtube.com/watch?v=6JGjf8RgKes

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