Roberto Kordon

Né à Buenos Aires en 1915, et mort à Santiago du Chili en 2002, cet homme discret, mais politiquement engagé, a donné à la littérature latino-américaine des œuvres fortes et originales, malheureusement peu connues en France. Il a créé des fictions d'une grande variété, allant du réalisme le plus cru pour décrire les bas-fonds de Buenos Aires, au fantastique et à l'onirique.


- Ne sommes-nous pas bien ici, tout seuls ?
Elle sourit, imitant sûrement son actrice préférée et Roberto perçut dans ce sourire, comme un éclair lointain mais lumineux, la conduite à suivre. Il continua :
- J'avais tellement envie d'être seul avec toi !
Il prit cette fois la voix chaude et artificielle d'un acteur de films argentins. Elle se contenta de tordre la bouche dans une grimace incrédule et se mit à dégrafer sa robe.
Les règles du jeu imposaient que l'amour, l'amour grandiloquent des feuilletons radiophoniques, entre avec eux dans la chambre 22. Dans cette chambre, l'amour fonctionnait à merveille, comme l'eau chaude. Elle pouvait être froide au début mais il suffisait de la laisser couler pour qu'elle devienne brûlante. Carmen pliait soigneusement sa robe sur une chaise.
Roberto se vit soudain au café. Il y arrivait tard, alors que tous les copains s'y trouvaient déjà. Il racontait son aventure avec Carmen, et tous étaient suspendus à ses lèvres. Il réfléchit sur la technique à employer pour son récit. Il leur dirait :
- J'ai mis un mois à la convaincre. Alors, vous comprenez, je n'étais pas au meilleur de ma forme quand je l'ai emmenée à l'hôtel. Heureusement qu'elle m'a facilité la tâche en se déshabillant toute seule et au pas de course.
Il entendit les rires de ses amis. Mais Carmen ne se déshabilla pas. Aucune importance. Il n'allait pas leur dire la vérité, au café. Mais avec ce qui allait arriver il pourrait raconter une aventure croustillante et enviable. Il n'avait besoin que de quelques faits pour structurer un bon récit.
- Tu restes comme ça ?
- Bien sûr, répondit-elle, moqueuse. J'ai enlevé ma robe pour ne pas la froisser.
Elle fit signe à Roberto de s'asseoir là, sur le lit, à côté d'elle, et se mit à évoquer les sujets les plus divers : son travail de vendeuse, ses problèmes domestiques, ses amies -toutes de braves filles- et son fiancé « si travailleur et qui m'adore ».

traduction de Marie-Claude Castro

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