Rodolfo Fogwill

Rodolfo Enrique Fogwill (né en 1941 à Buenos Aires, où il meurt le 21 août 2010), qui signe de son seul nom de famille, Fogwill, est un sociologue argentin, nouvelliste, poète et romancier. Dynamiteur devant l'Éternel, proche de César Aira et d'Osvaldo Lamborghini, Fogwill creuse un sillon très personnel en affrontant la réalité de l'Argentine contemporaine. Dans sa besace, une riche variété d'armes explosives centrée sur les jeux de l'écriture, dont le présent recueil de nouvelles offre un éventail : il s'empare avec audace de monuments littéraires tels que L'Aleph ou Orlando et les réinterprète sur fond de drogue, de sexe et de corruption pour le premier, de conflits mondiaux pour le second ; il embobine le lecteur dans Le Long Rire de toutes ces années, le fait participer à la construction du récit. Le succès de sa nouvelle Muchacha punk, qui a reçu le premier prix dans un concours littéraire important en 1980, a marqué le début d' « une intrigue faite de malentendus et de malchances » (selon ses propres termes) qui l'a amené à se consacrer entièrement à l'écriture. Certains de ses textes ont été publiés dans des anthologies diverses éditées aux États-Unis, à Cuba, au Mexique et en Espagne. Son court roman Los Pichiciegos a été l'un des tout premiers récits à traiter de la guerre des Malouine.


Voici la fin de sa nouvelle Muchacha punk :
Il me laissa à Victoria Station où je devais acheter des catalogues sur les armes et quelques articles de chasse pour mes amis de Buenos Aires. L'armurier d'Alwick était un Juif avec barbichette, rouleaux et tresses, et la brillantine faisait ressortir ses reflets bleutés. Lui et le libraire de Victoria Embankment, un Pakistanais, finirent par me gâcher la soirée avec leur peu de collaboration et leurs réflexions à peine voilées sur mon accent. Le Juif me demanda quelle était mon origine : le Pakistanais d'où je venais. Je répondis aux deux avec franchise. Qu'y avait-il à dire ? Dans un cas comme celui-là pourquoi faire des manières ou des cachotteries ? Tout ce qu'il y avait à voir, c'était une bien triste soirée dans l'hiver anglais... Obscurité... On avait l'impression que la nuit anglaise nous était tombée dessus. Quand il entendit le mot « Argentine », le Juif fit un geste avec ses mains : il les étendit jusqu'à moi, serra les poings, sépara les pouces et fit des mouvements rotatifs avec les coudes. Je ne comprenais pas bien, mais il me semblait qu'il s'agissait là d'une sorte de rituel de baptême.
Le Pakistanais, aux mots « Buenos Aires, Argentine », arrangea son turban violet et adopta la pose d'un danseur grec de Zirtaki (certainement que pour lui la danse de Zorba était ce qu'il y avait de plus exotique). Il se mit à tourner sur lui-même, fredonnant quelque chose, frappa des mains et chanta : « cidade maravilhosa dincantos mil » sur l'air de l'opérette Evita.
Ensuite, il reprit sa ronde, se prenant les fesses à deux mains, très content de lui et montrant toutes ses dents de pur ivoire.
Je sentis monter une grande jalousie et je demandai à Dieu de le faire mourir. Mais il ne mourut pas. Alors je lui souris à la mode argentine et lui m'a souri à se façon à lui, et je voyais un morceau de Londres à travers sa vitrine : un ciel pur de belle nuit. Je devais partir et je regardais souvent ma montre pour le presser un peu. Il n'était pas antipathique, ce fils de chienne de mulâtre, mais comme tous les commerçants anglais, était arrogant et lent. Il lui a fallu presque une heure pour me montrer un seul catalogue de Webley & Scott. C'est comme ça...

pour une adaptation filmée

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