Luisa Valenzuela



Voyageuse infatigable, longtemps journaliste, Luisa Valenzuela est un auteur de renommée internationale.
Elle est née en 1938 à Buenos Aires où elle réside encore aujourd’hui.
Fille de l’écrivain Luisa Mercedes Levinson, elle a grandi dans une impressionnante famille littéraire composée des nombreux et illustres amis de sa mère tels qu’Ocampo, Borges, Mallea , ou encore Bioy Casares, ou Ernesto Sabato et bien d’autres encore, dont de nombreux exilés espagnols : ils ont joué le rôle de parrains et l’ont prédestinée peut-être à « entrer en littérature ».
Dès l’adolescence, elle écrit pour la presse et travaille en parallèle à la Bibliothèque Nationale de Buenos Aires dirigée, à cette époque par Borges.
Mariée très jeune, elle vit en France où elle écrit son premier roman "Hay que sonreir" publié en 1966.
Au début des années 70, toujours journaliste puis conférencière et enseignante, elle vit à New York (où elle réalise une étude sur la littérature marginale nord-américaine), à Paris, à Mexico, Barcelone…

La nuit, je suis ton cheval

Comment pouvais-je attendre la police, mais comment ne pas l'attendre ? Leurs mains me tripotent, leurs cris m'insultent, me menacent, ils fouillent la maison, ils la mettent sens dessus dessous. Pourtant, je le savais, peu m'importait en cet instant qu'ils se missent à briser ce qui pouvait l'être et à chambouler les placards.
Ils n'allaient rien trouver. Mon seul et véritable bien était un rêve et on ne dépouille pas les gens d'un rêve. Mon rêve de la nuit précédente où Beto était ici avec moi, et dans lequel nous nous aimions. J'avais rêvé cela, tout cela avec un luxe de détails, et même en couleur. Et les rêves ne sont pas l'affaire des flics.
Eux, ils veulent des réalités, ils veulent des faits irréfutables comme je n'en ai pas, moi, à leur offrir, même pour un début.
Où est-il ? Vous l'avez vu ? Il était ici avec vous. Où est-il passé ? Allez, crache, ou ça va barder. Crache, salope, nous savons qu'il est venu te voir, où est-il? Où s'est-il fourré ? Il est en ville, tu l'as vu, avoue, avoue, on sait qu'il est venu te chercher.
Cela fait des mois que je suis sans nouvelle, je l'ai perdu, il m'a abandonnée, des mois, oui, cela fait des mois que je ne sais rien de lui, il m'a échappé, il est rentré sous terre, est-ce que je sais, moi, il est parti avec une autre, il est dans un autre pays, est-ce que je sais, moi, il m'a abandonnée, je le hais, je ne sais rien. (Vous pouvez me brûler avec vos cigarettes, et me cogner dessus autant que vous voudrez, et me menacer, hein, et m'enfoncer où je pense une souris pour qu'elle me bouffe l'intérieur, et m'arracher les ongles et faire ce que vous voulez. Vous n'allez pas me forcer à inventer. Je ne vais tout de même pas vous dire qu'il était ici si cela fait un siècle qu'il est parti à tout jamais.)

Beto, tu le sais, Beto, s'il est vrai qu'ils t'ont tué ou si tu circules encore ici-bas, la nuit, je suis ton cheval et tu peux venir m'habiter quand tu veux bien que je sois derrière les barreaux. Beto, en prison, je sais que j'ai rêvé de toi cette nuit...

extraits de Cambio de armas (Passe d'armes) dans une traduction de Claude Couffon

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