Julio Cortázar


Dans “Autobus” de Julio Cortázar, Clara est à peine montée à bord que tous les passagers la regardent de travers : elle est la seule à ne pas avoir de bouquet de fleurs à la main. Ils vont tous fleurir les tombes au cimetière de Chacarita. Plus loin monte un jeune homme dans le même cas qu'elle. Le chauffeur du bus a un comportement bizarre, presque animal. L'agressivité atteint son point culminant quand ils veulent descendre à leur station. Le chauffeur est particulièrement excité contre eux ; le contrôleur essaiera de le retenir...

Au coin de la place, ils virent que le 168 allait avoir le feu vert ; dans un tremblement de vitres et manquant d'emboutir la rambarde de la place, il prit le virage à fond d'accélérateur. Le jeune homme sauta de son siège, Clara passa rapidement derrière lui et se jeta sur la dernière marche tandis qu'il la rejoignait et la couvrait de son corps. Clara regardait la porte, les bandes de caoutchouc noir, les rectangles de vitre sale ; elle ne voulait pas voir autre chose et tremblait horriblement. Elle sentit sur ses cheveux le halètement de son compagnon, le coup de frein brutal les jeta sur le côté et au moment même où la porte s'ouvrait, le chauffeur courut dans le couloir, les mains tendues. Clara sautait déjà sur le trottoir et quand elle se retourna, son compagnon sautait à son tour tandis que la porte se refermait en soufflant. Les bandes noires retinrent prisonnière une main du conducteur, ses doigts blancs et rigides. Clara vit à travers les vitres que le receveur s'était jeté sur le levier de commande de la porte.
Le garçon la prit par le bras et ils traversèrent rapidement la place pleine d'enfants et de marchands de glaces. Ils ne se dirent rien mais ils tremblaient comme de bonheur et sans se regarder. Clara se laissait guider, remarquant vaguement au passage le gazon, les plates-bandes, respirant un air de fleuve qui montait en face d'eaux. Le fleuriste était à un coin de la place et le garçon s'arrêta devant la corbeille montée sur chevalets. Il choisit deux bouquets de pensées et en tendit un à Clara puis il lui fit tenir le sien pendant qu'il sortait son portefeuille et payait. Mais quand ils repartirent (il ne lui reprit pas le bras cette fois) chacun tenait son bouquet, chacun portait le sien et était content.

traduit par Laure Guille-Bataillon

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