Carlos Fuentes parle de Borges



Borges est également le premier grand écrivain latino-américain totalement urbain. Le premier écrivain complètement centre sur la ville, fils de la grande métropole qui coule dans ses veines par ses mots, son brouhaha, ses silences et ses concerts de pierre, de pavés et de verre – c'est Borges. Si l'on connaît Buenos Aires, on sait que les envolées les plus fantastiques de Borges sont née d'un patio, d'un porche ou d'un coin de rue de la capitale. Mais si l'on connaît Buenos Aires, on sait aussi qu'aucune autre ville au monde ne clame d'une voix aussi forte : « Exprime-moi ! » Une vieille boutade dit que les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas, et les habitants du Rio de la Plata, des bateaux. Ville sans histoire, usine, cité transitive, Buenos Aires a besoin de se nommer pour savoir qu'elle existe, pour s'inventer un passé, pour s'imaginer un avenir.
Au contraire de la ville de Mexico ou de Lima, une simple référence visuelle aux insignes de son prestige historique ne lui suffit pas. Tango ou kenningar, Gardel ou Bioy Casares, les traits de lumière de David Viñas ou les merveilleuses pénombres de José Bianco, les orgies de Leopoldo Marechal et les petits-déjeuners de Juan José Hernandez, le langage des Argentins est une réponse à l'exigence d'une ville qui veut être dite pour affirmer son être fantomatique.
De là la sottise de ceux qui accusent Borges de cultiver tout ce qui est étranger ou d'être « européiste » : peut-il y avoir quelque chose de plus argentin que cette nécessité de remplir les vides par des mots, d'avoir recours à toutes les bibliothèques du monde pour remplir le livre vierge de l'Argentine ?

La nueva novela hispanoamericana (1969)



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