Détroit de Magellan
Voici comment le grand écrivain et biographe, Stefan Zweig, nous conte la découverte du Détroit par Magellan en 1520 :
Ce dut être une spectacle étrange que celui qui s'offrit à la vue des marins lorsque les quatre bâtiments s'engagèrent doucement et sans bruit dans cette baie noire et tragique où jamais aucun homme n'avait pénétré. Autour d'eux un silence de mort et des falaises abruptes qui semblent les fixer d'un regard métallique. Sombre est le ciel, sombre la surface de l'eau. Telle la barque de Charon sur les eaux du Styx, ombres parmi les ombres, les navires s'avancent sans hâte dans ce monde des enfers. Au loin brillent des montagnes aux sommets couverts de neige, d'où arrive la nuit un vent glacial. Nulle part un être vivant et cependant des hommes doivent habiter ces parages, car le soir des feux brillent dans l'obscurité, ce pourquoi ils appellent ce pays la Terre de Feu. Jamais une voix, jamais une silhouette mouvante. Lorsqu'une fois Magellan envoie des matelots à terre dans un canot ils ne trouvent ni maison ni habitation, mais seulement un cimetière, quelques dizaines de tombes abandonnées.
Le trajet est dangereux. Cette voie d'eau ne ressemble en rien au canal large, agréable, et d'ailleurs tout à fait imaginaire, que les braves cosmographes ont, dans le silence de leurs cabinets de travail, dessiné sur leurs cartes. C'est vraiment par euphémisme qu'on appelle cette route un « détroit ». En réalité c'est un carrefour ininterrompu, un labyrinthe de baies, de fjords et de canaux, qu'on ne peut traverser qu'au prix des plus grandes difficultés et en faisant appel à tout l'art du navigateur. Il faut éviter les bas-fonds, contourner les rochers et toujours le vent hostile souffle et tourbillonne, soulevant l'eau, secouant les voiles. On comprend pourquoi cette route fut pendant des siècles l'effroi des marins. (...)
Tous les jours on envoie des éclaireurs pour voir si on peut toujours avancer. Mais un jour la chaloupe revient, et cette fois la nouvelle qu'ils apportent est importante : ils ont enfin trouvé la sortie du canal. Ils ont vu de leurs propres yeux la mer à laquelle il aboutit, la mer du Sud, le grand océan inconnu : Thalassa ! Thalassa !
Cet instant est le plus grand qu'ait connu Magellan, c'est un de ces moments de ravissement extrême dont l'homme ne jouit qu'une fois dans son existence. Son rêve s'est enfin accompli. Son tour du monde prend tout son sens : il a trouvé le chemin d'un océan à un autre.
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