Boris Elkin


 

Boris Elkin est mort le 21 juin 1952 à Buenos Aires, c'était un des plus célèbres représentants de la poésie « gauchesca ». Il était né le 2 juin 1905 à Los Toldos. Bohème, mais également très actif, il dirigea la revue « Notas » de 1931 à 1939.

Dans le poème qui suit il est question de « chal » ou « chala » : cigarette confectionnée avec la feuille de maïs, qui était ce que fumaient les paysans pauvres.


Mi chala

Je sais pas si c'est un truc de mendiant

ou un cadeau du ciel ;

certains prétendant que c'est un mal :

mais à moi ça me fait du bien...


Récemment le docteur m'a dit

que la fatigue que j'ai

c'est de la faute au tabac

qui me mine la poitrine,

et il m'a ordonné d'arrêter

si je voulais sauver ma peau !


Mais arrêter le tabac

maintenant que je deviens vieux

et que j'en ai le plus besoin

pour raviver mes souvenirs...


Arrêter de fumer, j'ai dit,

mais je n'y pense même pas !


Il y a des années, tellement d'années

je travaillais comme bouvier

j'ai pris ma première clope

pour brûler mon ennui.

Que douces passent alors les heures

que rapidement s'écoule le temps

et que l'homme se sent bien

avec une cigarette entre les doigts !


Quand ma mère est partie

sans même le temps d'un baiser,

qui d'autre que ma clope

a partagé ma lourde peine

et s'est consumé sans trêve

juste pour me consoler !


Plus tard quand l'amour

m'a frappé en plein cœur,

cet amour qui est vie et mort

qui est triomphe et abandon

et qui nous tue peu à peu

pour qu'on vive tout en mourant,

j'ai pu dominer mes impatiences

en fumant comme une locomotive !


Et à la fin, pourquoi ? Pour qu'un jour

elle me quitte d'un coup de balai !

Elle n'avait aucun scrupule

à me jeter mes rêves à la figure.

Quand ce soir-là elle m'a dit

qu'elle n'avait plus de temps à perdre

et que j'ai su qu'un autre gars

avait réussi à la séduire,

le tabac était le moindre mal.

Il a su me conseiller

il m'a occupé la main

alors que je rêvais d'un couteau !


Ensuite j'ai changé de boulot

je me suis dit : « Garde les troupeaux,

il n'y a rien de mieux que la route

pour celui qui n'a plus d'attache ».


Le nombre de nuits

que j'ai passées sur ma selle

sans autre étoile que ma clope

qui scintillait dans le silence.


Et plus tard quand la vie

me fixa parmi les villageois

que je me mis à griffonner du papier

pour donner forme à mes souvenirs

qui d'autre que la cigarette

m'a aidé à écrire ces vers ?


Arrêter le tabac parce qu'un docteur

est venu avec cette fable

que cela me fait du mal

et me mine la poitrine ?

Hé, laissez-le donc me tuer

si c'est ce qui me fait vivre !




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